A Romans :

En ce début d'après-midi, le 2ème Escadron est envoyé sur la route de Valence. Il s'agit ni plus ni moins de faire un barrage pour interdire tous mouvements Allemands en direction de Romans. La défense anti-char doit être assurée par les Américains. L'ordre nous est donné d'installer notre F.M. en plein champ, derrière une meule de foin. Pour un beau champ de tir, c'est un beau champ de tir. "Calva" et les gars de son escouade "Seppi", "Athos" et "Porthos" se posent des questions sur la stratégie militaire de leur chef. Passe encore de les faire installer derrière une haie, une maison ou tout autre camouflage, mais là ! "Seppi" n'arrête pas de râler :

"Tu parles, il voudrait nous faire zigouiller qu'il ne s'y prendrait pas mieux. Il n'a qu'à se présenter un char et nous sommes foutus tous les quatre ! Et les Amerloques, tu les vois arriver, toi, les Amerloques ??"

Nous tournons autour de la meule en même temps que le soleil pour rester à l'ombre, car il fait beau et chaud, heureusement !

En fin d'après-midi, on vient nous rechercher sans nous fournir d'explication, sinon que les Américains ne sont pas venus. Comme si nous ne nous en étions pas aperçus ! !

Et "Seppi" de s'exclamer :

"Eh bien les gars, on a eu l'avantage de prendre un bon bol d'air, c'est toujours ça !"

Quant aux copains, impossible de savoir où ils sont allés; ils ne le savent pas eux-mêmes. Il parait qu'on était prés d'Alixan.

Eh bien, ça promet ! !

La section du Choc a fait mouvement de Pont-de-Claix où elle était restée pour conduire à leur dernière demeure ses camarades tombés le 21 Août, vers Bourdeaux, là où ils ont retrouvé le sol de France.

Le canon tonne sans arrêt dans le lointain, du côté de Puy-Saint-Martin.

La nuit tombe.

A Romans, lorsque nous rentrons, nous apprenons que Paris est libéré. Certaines troupes Allemandes se sont rendues, mais beaucoup d'autres ont réussi à passer à travers les mailles du filet et retraitent en direction de l'Est poursuivies par des éléments de la 2ème D.B. de Leclerc.

A Paris, la population en liesse, a fait un accueil enthousiaste aux F.F.L., aux F.F.I. et aux F.T.P.. Nous apprenons aussi que les troupes Françaises vont remplacer les unités Américaines qui opèrent dans les Alpes.

Samedi 26 Août 1944

Si, la veille, au Sud de Montélimar, les Fridolins ont pu faire remonter pas mal des leurs, leur arrière garde a eu fort à souffrir avec les troupes de la 3ème D.I.U.S. du Général O'Daniel et son artillerie qui remontent la RN7 sur ses trousses.

Les Américains sont freinés par les destructions, principalement de ponts, et l'encombrement des routes pratiqué avec un art inégalable par les Boches. L'objectif n°1 des F.F.I. qui matraquent les retardataires, est de protéger les quelques ponts encore à peu prés intacts.

La 1ère D.F.L. et la 1ère D.B. Française ont toutes les deux atteint leurs objectifs respectifs. Dans la journée, les villes de Arles, Tarascon et Avignon sont libérées. Le génie s'affaire déjà au Sud d'Avignon pour lancer un pont de bateaux sur le Rhône afin de pouvoir utiliser comme axe de pénétration la RN86 qui suit la rive droite du Rhône et est déjà aux mains des F.F.I.

De Lattre et Brosset espèrent, avec le 1er Régiment de Fusiliers-Marins et ses chars légers "Lights" pouvoir foncer et, si possible, devancer le retrait de l'arrière garde de la XIXème Armée de Wiese. De gros problèmes d'ordre logistiques tels que ravitaillement en essence, munitions qui arrivent au compte-gouttes, freinent sa marche.

Par contre, l'artillerie divisionnaire de la D.F.L. apporte un soutien non négligeable en canardant, par dessus le Rhône, les troupes ennemies se repliant sur la RN7.

Dans leur repli, les Frizous ont poussé des pointes de reconnaissance, passant par Nyons et les Aubres jusqu'à Sahune, faisant des victimes civiles sur leur passage. Ils cherchent des portes de sortie vers Bouvières et Bourdeaux, par Saint Ferréol-Trente-Pas et la D70, ou éventuellement, vers Die par Rémuzat et la Motte Chalançon (D61).

Durant la nuit, entre Montélimar et Valence, les Frisés ne peuvent contrôler que la RN7. Et encore sont-ils en permanence attaqués par l'artillerie, l'aviation Alliée ainsi que les F.F.I. qui multiplient leurs embuscades. Les axes secondaires qu'ils ont eu tant de mal à maintenir ouverts la veille, se referment à la faveur de la nuit. Aussi, dés le jour, la 11ème Panzer doit-elle attaquer de nouveau pour essayer de dégager le passage vers la Drôme.

A la Batie-Rolland, les Fritz essaient de progresser dans les rues principales, mais se heurtent aux F.F.I. qui combattent à la Sten, à la grenade et au gammon, appuyés par des Américains. Les combats deviennent vite violents à Bonlieu-sur-Roubion, à Sauzet, à Marsanne où un char Allemand brûle avec son équipage, à Savasse où trois soldats Américains sont tués; deux autres tombent prés de Marsanne. Les autres axes connaissent également des combats meurtriers.

Plus au Nord, les Frisés essayent de prendre à revers les troupes Américaines qui encerclent Montélimar et barrent le repli Allemand au niveau de Marsanne. Pour cela, ils lancent une contre-attaque sur Allex par Livron et la D93A en espérant franchir la Drôme et atteindre Grane. Mais les F.F.I. font sauter les ponts, et les Fridolins se replient en direction de Vaunaveys par la D538. Mais, là aussi, cette voie leur est interdite car la 6ème Cie et les chars Américains sont là à les attendre.

L'aviation entre elle aussi en action et un char Allemand est détruit.

Chars et artillerie adverses se canardent toute la journée. Bloqués, ne pouvant passer, les Boches se dirigent vers Upie par la D142. Ils sont à nouveau attaqués dans le village même de Upie.

La veille, le peloton du Choc est revenu à Bourdeaux. Il part en patrouille en direction de Charols où les Américains ont fait demi-tour quand ils sont tombés sur quelques 88. Les Allemands, dans leur retraite, ont abandonné beaucoup de matériel. Il y a là des véhicules, de l'essence, des armes et des munitions etc.. etc.... Les Chocs sont en train de récupérer ce qui peut leur servir lorsqu'ils sont brusquement attaqués par les Fritz. L'artillerie Américaine entre en action et canarde copieusement Boches et Français, pour ne pas faire de jaloux. Les deux camps ont des blessés.

Pour cette journée, le bilan des pertes de la XIXème Armée Allemande est particulièrement lourd. Il ya plus de quatre-vingt tués.

A Toulon.

Les armes se sont tues. Les Allemands se sont rendus à l'exception des dix huit cent marins de l'Amiral Ruhfus qui, dans la presqu'île de Saint-Mandrier, continuent de se battre. En ville, les destructions sont énormes. Environ quatre mille maisons sont détruites, c'est dire la violence des combats.

Depuis qu'il a touché le sol de France, a lui seul, le Choc a eu trente six tués et quarante six blessés.

A Marseille.

Le Maquis de Saint-Jean-du-Puy, de Trets, est dissous. Les Maquisards sont renvoyés dans leurs foyers, les armes remises a la Gendarmerie. Par contre, quarante cinq Maquisards du Puits d'Auzon descendent à Marseille pour participer à sa libération. Vingt hommes sont envoyés à Saint Antoine. Les autres à Endoume. Après avoir subis le bombardement de l'artillerie ennemie, ils atteignent le vallon des Auffes dans la soirée. Durant la nuit, ils patrouillent pour se renseigner sur les emplacements de combat de l'adversaire.

Dans le centre de Marseille et aux environs du Vieux Port, les combats font toujours rages. L'artillerie Française, bien dirigée depuis Notre-Dame-de-la-Garde pilonne sans arrêt les positions ennemies des Forts et du Frioul.

A Romans.

Au 2ème Escadron, nous recevons le renfort de nouveaux engagés dont pour ne citer que quelques uns : Elie Rossetti, Louis Félix, Maurice Guillermont. Le premier est affecté au 3ème peloton, les deux autres au 2ème peloton.

La journée s'est passée sans incident notable. Nous sommes sortis en ville et nous avons discuté avec des copains d'autres Escadrons. Le 1er Escadron du Capitaine Bourgeois est cantonné à Bourg-de-Péage, l'Escadron Bouchier se trouve sur la route de Tain, celui de "Grange" à Mours. Dans l'après-midi, le 1er et le 6ème Escadron sont déplacés vers de nouvelles positions -Jabelin et Pont-Vernaison.-

Au soir, de Lyon, nous parvient une nouvelle inquiétante (Il semble qu'elle nous soit arrivée avec un certain retard), Yves Farges a eu connaissance de l'exécution par les Nazis de cent vingt innocents. Ils ont été exécutés à Saint-Genis-Laval. D'après d'autres renseignements, le Colonel SS Knap, chef de la Gestapo, vient de donner l'ordre de faire fusiller tous les prisonniers de la prison de Montluc de Lyon. Il y aurait quelques huit cent personnes.

De nombreux prisonniers Allemands ont été faits par la Résistance. Parmi eux se trouvent de hauts gradés de la Wehrmacht et de la Gestapo qui ont été pris, tant en Haute Savoie qu'à Grenoble ou encore dans la Loire et ailleurs. Comme Yves Farge en possède la liste nominative, il décide d'informer aussitôt Knap par lettre cosignée par le Colonel Bourgès-Maunoury et Maillet, qu'au cas où les prisonniers du Fort Montluc ne seraient pas libérés, la Résistance considérerait que tous les prisonniers nommés sur la liste jointe seraient traités comme des otages. La demande de libération est transmise par l'intermédiaire du Consul de Suède et la Croix-Rouge depuis la préfecture qui est encore vichyssoise.... Le 24 Août, les Fritz libèrent les prisonniers Français, Knap ayant pris très au sérieux l'intervention Française.

Dimanche 27 Août 1944

A Montélimar, pour dégager sa XIXème Armée qui ne progresse pas assez vite à son gré, le Général Wiese décide de frapper un grand coup. Il fait dresser d'énormes barricades afin de bloquer les rues d'accès, en faisant empiler le matériel inutilisable. Puis il déclenche une très forte préparation d'artillerie sur la RN7 avant de faire ouvrir la route par les chars de la 11ème Panzer dés les premières heures du jour. Mais, malgré la violence de l'attaque Allemande, la riposte de l'artillerie Américaine, des F.F.I. et surtout de l'aviation Alliée qui développe de très gros moyens, est immédiate. Les pertes Allemandes deviennent vite impressionnantes. Avec le lever du jour, c'est l'hécatombe. Plusieurs centaines de Fridolins sont mis hors de combat. La RN7 est tellement encombrée par toutes sortes d'épaves qu'il est, dans l'immédiat, impossible de la dégager. Il faudrait beaucoup trop de temps. Aussi Wiese tente-t-il une opération de diversion de la dernière chance. Il ordonne à la 11ème Panzer de dégager à tout prix, l'axe Montélimar, Crest, Romans, Beaurepaire et à toutes les autres unités, de s'engager à fond dans cette offensive.

La diversion Allemande est tellement violente que la Wehrmacht réussit à enfoncer F.F.I. et forces Américaines qui se trouvent coupées en deux à Crest. Bien sûr, les Teutons ont des pertes sur tout le parcours, mais ils avancent néanmoins et leurs blindés établissent des bouchons sur tous les accès possibles à cet axe. Les F.F.I. reçoivent des ordres de contre-attaque qui ne sont pas tous couronnés de succès, vue l'ampleur des moyens adverses.

La section du Choc progresse vers Charols et Saint-Gervais en direction de Montélimar. Elle s'accroche souvent avec l'arrière-garde ennemie et trouve, de place en place, des positions de combat Américaines abandonnées, armes lourdes encore en place. Une patrouille tombe même sur un char Tigre. Celui-ci s'arrête. Les gars du Choc s'attendent à être tirés comme des lapins, à bout portant, quand ils constatent avec stupéfaction que l'équipage s'éjecte et fonce dans la nature. Les Chocs n'osent pas approcher du monstre craignant qu'il ne saute, mais après une attente prudente, ils décident d'y aller voir de plus prés. Ils constatent qu'il est tout simplement en panne d'essence, intact avec ses casiers à obus encore bien garnis.

En fin de matinée à Romans.

Bien que les Allemands tombent par dizaines dans ces combats du désespoir, au collège, nous sommes conscients que la situation n'est pas fameuse. Le bruit de la canonnade se rapproche, "Calva" fait part de ses réflexions à Jury :

"Je ne sais pas ce qui se prépare, mais cela ne me semble pas bon; aussi je pense qu'il serait utile de se préparer à toute éventualité !"

Jury acquiesce, "Calva" supprime provisoirement les permissions en ville. "Elles seront aussitôt rétablies si la situation le permet". Mais la situation, loin de s'améliorer, se détériore rapidement. On entend maintenant très nettement des bruits d'armes automatiques en direction de Bourg-de-Péage. Jury reçoit des nouvelles par téléphone. Plus d'une vingtaine de chars Boches, déployés en éventail, ratissent tout devant eux. Ils viennent d'Alixan et ouvrent la route à des blindés légers. D'autres attaquent par Bésayes après avoir franchi la Barberolle. En même temps, une autre colonne, partie de Tain, fonce vers Romans par la D532.

Les blindés Boches qui sont passés par Bésayes, arborent des drapeaux Français. Ils traversent la canal de la Bourne et remontent la route qui longe le canal en canardant les hommes de la 3ème Cie du 12ème B.C.A. Plusieurs hommes tombent, dont un Lieutenant Américain. Malgré une résistance désespérée, les combattants de la 3ème Cie ne peuvent arrêter l'avance ennemie et le Lieutenant Piron se voit contraint de se replier vers Pizançon avec ses blessés. Les Sénégalais de Moine ne peuvent pas rejoindre le pont de l'Ardoise et traversent le canal à la nage, sous un feu meurtrier. Certains n'ont même pas eu le temps de traverser. Ils se cachent du mieux qu'ils le peuvent avec des branches d'arbres.

Les automitrailleuses Allemandes tirent sur tout ce qui bouge, civils ou F.F.I. Les fermes brûlent les unes après les autres. A la Maladière, les positions sont prises à revers par les chars ennemis qui débouchent par Châteauneuf-sur-Isère, alors qu'on les attend par la route de Valence. Non seulement ils mitraillent, mais ils tirent au canon sur ceux qui tentent de fuir. Au cours de l'engagement, plusieurs Patriotes tombent dont "Molaire" (Lt Constant Berthet). Les Fritz achèvent les blessés qui n'ont pas pu se replier à temps. Arborant également des drapeaux Français, des chars ennemis attaquent Bourg-de-Péage. Ils font prisonniers, par surprise, André Chirat, Joseph Gignoux et l'abbé Georges Magnet. Dans la soirée, ils tentent de s'enfuir et sont abattus par un de leurs gardes.

C'est avec consternation que nous apprenons la mort de ces trois Maquisards de l'escadron Bourgeois. L'abbé Magnet, 36 ans, avait été fait prisonnier en 1940. Evadé, il avait rejoint le 1er Groupe Franc de Bourgeois en Mars 1944, dans le Vercors. Il était fort estimé, non seulement dans son Escadron, mais également dans les autres.

Sur la route de Tain, l'Escadron Bouchier garde le passage à niveau avec son canon de 25. Il est attaqué vers les 14 heures par des automitrailleuses. Plusieurs de ses hommes sont touchés. Débordés, les combattants sont obligés de se réfugier en se camouflant dans des buissons sur les bords de l'Isère. Rue du Nouveau Pont, à Bourg-de-Péage, un groupe de la 4ème Cie du 12ème B.C.A. essaie bien d'enrayer l'avance des Frizous, mais que faire avec seulement des fusils contre des blindés ?

Deux des leurs sont tués et un civil touché à mort chez lui.

Au collège - 2ème Escadron :

13h15, les obus sifflent et tombent maintenant un peu partout. Jury a reçu un appel téléphonique du P.C. Ce dernier déménage sur Pizançon. Jury s'adresse à tous les gars qui attendent l'arme à la main prés de leurs sacs alignés par terre à leurs pieds.

"Les Boches attaquent Romans. Il faut que nous arrivions au barrage de Pizançon avant eux; autrement, ils vont nous couper la retraite. La moitié du 2ème peloton devant pour ouvrir la route, le reste derrière pour protéger le repli !"

"Calva" décide :

"Bon, on ferme la marche avec "Seppi" et son F.M., "Athos" et "Porthos", comme à Saint-Nizier !"

Jury n'a pas besoin de répéter l'ordre deux fois; déjà les hommes du 2ème Escadron filent parallèlement à la place, à l'intérieur du collège, en se dirigeant vers le mur de clôture qu'ils franchissent l'un après l'autre avant de prendre la direction de l'Isère. On s'apercevra plus tard, est-ce méconnaissance des lieux ou précipitation, qu'ils ont choisi le point du mur le plus élevé.

Dans le collège, il ne reste presque plus personne. "Bépy" (Péotta), un ancien du C15, saute dans la cour par une fenêtre du rez-de-chaussée et fonce vers le mur où nous attendent "Athos" et "Porthos". "Seppi" se dirige vers eux. La porte du collège est grande ouverte. Un char Tigre, arrive de la place, fait un virage à angle droit et, dans un fracas de chenilles, rase les rouleaux de barbelés (installés là comme protection rapprochée tout autour du collège, par les Boches lorsqu'ils l'occupaient). Il s'arrête juste là, en face du portail, la tourelle tournée face à la place. Le chef de char, buste hors de la tourelle, surveille les environs. "Calva" se rend bien compte qu'il est beaucoup trop loin pour lui envoyer à coup sûr, l'un des gammons qu'il a dans son sac. Il dit à Jury :

"Je le descends au fusil !"

Celui-ci lui réplique calmement :

"Non ! il vaut mieux filer sans histoires."

Tout en surveillant les réactions de l'adversaire, "Calva" l'aide à refermer doucement le portail puis, tous les deux mettent en place la grosse barre tournante qui bloque la porte. D'un geste, "Calva", qui observe par un trou de la porte, fait signe à Jury de partir. Il se retourne, constate qu'un sac sur lequel un F.M. Français est appuyé, est resté sur place. Une sourde colère l'envahit, il a reconnu l'arme de "Cadet". Quand le C12, ou plutôt le 2ème peloton, a été mis en alerte, notre "Cadet" s'apprêtait à partir en ville. Sans doute un rendez-vous très important ! Il a profité d'un instant d'inattention où les esprits étaient ailleurs pour s'éclipser sans se faire remarquer. Cela fait mal au cœur à "Calva" de devoir abandonner un F.M. avec son chargeur plein dessus. Aussi s'en charge-t-il ! Tant pis pour le sac, mais au moins il n'aura pas laissé une arme aussi précieuse. Il place son fusil sur son sac et, F.M. à la main, il se dirige vers "Seppi" qui, le voyant arriver, saute le mur.

Ce mur est assez haut et un rouleau de barbelés court tout le long du mur à deux mètres en dessous de son faite. Ce n'est pas très évident de sauter sans s'accrocher à ces barbelés et en même temps, de bien se réceptionner lorsqu'on est aussi chargé. C'est surtout dangereux quand on est le dernier.

Au pied du mur, c'est un jardin. Les gars qui l'ont précédé, en sautant tous à peu prés au même endroit et chargés de tout leur barda, ont labouré profondément le sol meuble, faisant une double marque de pieds de 20 à 30 centimètres de profondeur.

Attention aux entorses ! "Calva" calcule son coup. Il saute au-delà des empreintes et se reçoit sans dommage. A ce moment, il voit "Seppi" disparaître un peu plus loin par le petit portail d'une propriété. Du jardin, il saute dans une rue. Une rafale d'arme automatique gicle sur le mur d'en face. Il scrute rapidement les environs, mais il n'arrive pas à repérer le tireur. Par simple réflexe, il arme le F.M., mais il sait qu'il n'a qu'un chargeur sur son arme. Une nouvelle rafale fait "fumer" le mur un peu plus loin. Pas de doute, il ne peut s'agir que d'un novice, sûrement un Milicien ou un collaborateur qui s'amuse à faire "un point fixe". Ce n'est certainement pas un Boche. Il demande à "Seppi" s'il voit quelque chose. Devant sa réponse négative, "Calva" avance sur sa gauche en se collant le plus possible contre le mur. Arrivé au niveau du petit portail, après un dernier coup d'œil, il franchit la rue en coup de vent et passe le portail.

"Calva" voudrait bien lui rendre la monnaie de sa pièce à ce Milicien, mais il n'arrive pas à le repérer et ce n'est pas le moment de s'éterniser ici, surtout que "Seppi", pendant ce temps, a pris de la distance. "Calva" longe une belle villa avec de splendides cyprès bien taillés en pointe. Il réalise soudain qu'avec son F.M. supplémentaire, il ne va pas pouvoir "recoller" rapidement et il décide de le planquer dans le cyprès du milieu. Maintenant, allégé, il suit aisément, tout en courant le plus rapidement possible sur la route qui longe l'Isère. De l'autre côté, pas de Fritz. Il arrive au barrage de Pizançon et rejoint "Seppi" qui garde la sortie. Tous deux traversent le barrage et retrouvent Jury et les copains. Il est 15 heures. L'Escadron a pris position un peu plus loin.

Le P.C. est à Bois-Vert, à 2 kilomètres de Meymans, sur une petite colline boisée, où rejoint le 5ème Escadron. Jury nous attend avec les gars du 2ème peloton au pied de cette colline.

Nous apprenons que "Bacchus" s'est esquinté une cheville en sautant le mur et qu'il n'a pu arriver jusqu'au barrage qu'avec l'aide des copains. C'est Louis Félix et "La Mauricaude" qui l'ont soutenu. Il a été confié à des civils qui l'ont emmené vers La-Baume-d'Hostun.

Nous attendons depuis un bon moment lorsque nous voyons arriver de Romans notre car à gazogène qui passe le barrage. Et qui voyons-nous en descendre le premier ? Notre "Cadet".... .Alors là, "Calva" engueule "Cadet", à qui il reproche de s'être "barré" en douce pour allez voir sa "Dulcinée du Toboso". "Cadet" s'en défend, mais "Calva" lui dit, peu amène :

"Il n'empêche que ton F.M. est resté dans un buisson et ton sac dans le lycée. Tu ne me prends tout de même pas pour ton bourricot ?!!"

Calmé, "Calva" lui indique avec précision l'endroit où il a planqué son F.M.

C'est à ce moment là que Jury nous dit :

"On est sorti de Romans sans ennui, mais on a laissé beaucoup de munitions dans le collège. Il faudrait un volontaire pour accompagner le chauffeur et son car afin d'en rapporter le plus possible."

Des mains se lèvent. Pour ne pas passer pour des dégonflés, les uns après le autres, les anciens du C12 lèvent la main. Comme aucune solution ne se dégage, "Calva" en propose une :

"Il y en a un qui n'a pas obéi aux ordres, c'est "Cadet". Il va y aller !"

Et se tournant vers celui-ci, il lui dit :

"De plus, c'est normal que tu récupère ton sac !"

Sans ronchonner, ce qui est plutôt rare au C12, "Cadet" grimpe dans le car que nous voyons s'éloigner sans cacher notre appréhension quand, à faible allure, il commence à grimper la côte qui se situe à la sortie du barrage, en direction de Romans.

Pourvu qu'ils ne tombent pas sur un os à la sortie. N'entendant rien, nous en déduisons qu'ils ont réussi pour l'instant à s'en sortir. Le temps passe, monotone, le jour commence à baisser et toujours rien.

Tout à coup, la sentinelle que nous avions placée en avant de nous s'écrie :

"Les voilà !"

Avec son gazogène hoquetant, notre car dévale la côte, traverse le barrage et s'arrête avec son bruit habituel de ferraille. Notre "Cadet" en descend le premier claque les talons et crie :

"Mission accomplie, mon Capitaine !"

Si ce n'était le sérieux de la situation où nous nous trouvons, on rigolerait de son attitude, car il ressemble beaucoup à un pantin. Nous nous précipitons pour décharger ce qu'ils ont pu rapporter. Les cartouches sont en tas sur le plancher du car, face à la porte arrière droite de celui-ci. D'autres auraient pensé de camoufler les munitions dans la soute à bagages du car, par simple précaution, pas eux. On peut mesurer le danger que le chauffeur aurait encouru en cas d'arrestation par les Boches. Quant à "Cadet", habillé en Maquisard...... N'en parlons pas ! Malheureusement, ils ne rapportent pas de ravitaillement et nous devrons nous contenter des maigres provisions fourrées à la hâte dans nos sacs, avant de nous éclipser du collège.

Depuis un petit moment, son F.M. Français à la bretelle, "Cadet" se promène, sans doute pour nous narguer. "Calva", fixant le F.M. lui demande :

"Dis donc, "Cadet", à qui tu as piqué ce F.M. ?"

Ironique, "Cadet" lui répond :

"Cette bonne blague, c'est le mien !"

Et le plus fort, c'est que c'est effectivement le sien. Il a réussi à le retrouver dans le buisson où "Calva" l'avait dissimulé et il l'a ramené. Il faut le faire !

Pendant que nous évacuions précipitamment Romans, les chars Boches tirent au canon sur toutes les maisons restées pavoisées. Beaucoup de Romanais n'ont pas eu le temps d'enlever les drapeaux. Les Nazis mitraillent tous les civils qu'ils aperçoivent, même ceux qui se sont réfugiés dans une tranchée de la défense passive abandonnent sur place les blessés, surtout des femmes et emmènent les personnes valides comme otages.

A la sortie de Romans, l'Escadron "Grange" (l'ancien C11) est attaqué de plein fouet par une colonne Boche appuyée par des chars Tigres. L'Escadron est coupé en deux et il est obligé de se replier séparément. "Gorille" (Jean Garnier) et ses hommes se dirigent vers Saint-Donat-sur-l'Herbasse. Les autres avec "Grange" se dirigent vers Peyrins-Génissieux. La liaison ayant pu être vite rétablie, "Gorille" retrouve "Grange" sans problème.

La route est maintenant libre. Les convois Allemands se suivent et traversent la ville. C'est une véritable désolation, de nombreuses maisons brûlent. Mais le repli des Teutons ne se passe pas sans incidents.

Dans la région de Lyon, les Frisés empruntent la RN84 par Meximieux en direction de Pont d'Ain et par la RN75 en direction de Bourg-en-Bresse. D'autre convois prennent par la D36 et Ambronay pour rejoindre à nouveau la RN84. Ils se faufilent par la petite route qui longe le Suran, passant à Simandre et Saint-Julien pour rejoindre Lons-le-Saunier et, de là, Besançon.

De Lyon jusqu'à Lons-le-Saunier en passant par les Dombes-Bourg, la RN83 est surchargée.

Les troupes Allemandes essayent d'éviter Vienne et Lyon. Ils remontent de Romans par Beaurepaire afin de rejoindre Pont-de-Chéruy pour essayer de traverser le Rhône sur le Pont-de-Loyettes.

Par un mouvement tournant, les Maquisards de la Grande Chartreuse du Commandant Loisy, appuyés par des éléments de la 45ème D.I.U.S. ont réussi de s'emparer du Pont-de-Loyettes; mais ils buttent sur Pont-de-Chéruy. Entre temps, les Américains reçoivent l'ordre de se porter au Nord pour couper la RN84 à Méximieux. C'est à ce moment que "Chabert" qui commande les opérations dans ce secteur; apprend qu'une colonne ennemie, partie de Lyon, se dirige vers Pont-de-Chéruy. L'objectif est sans nul doute possible, le Pont-de-Loyettes. Le Commandant de la 45ème D.I.U.S., le Général Eagles, donne l'ordre à ses unités engagées à Pont-de-Chéruy de retraverser le Pont-de-Loyettes et, avant de partir, il demande à "Chabert" de faire sauter le pont derrière ses troupes afin d'assurer leur protection. Mais "Chabert" n'a pas la même conception tactique que les Américains; détruire les ponts, il entend le faire qu'en dernier ressort, car il faut bien traverser quelque part. Aussi fait-il attaquer Pont-de-Chéruy par les bataillons de Loisy et "Mary" (Basset) Surpris par cette attaque, une centaine de Fridolins sont faits prisonniers. Quant aux autres, ils se replient sur Lyon. Les Patriotes en profitent pour déminer les barrages que les Allemands avaient minés aux passages obligés et ils occupent Pont-de-Chéruy.

A Toulon, tandis que les combats se poursuivent dans la presqu'île de Saint-Mandrier, le plus gros des troupes Françaises engagées sur ce théâtre d'opération quitte la ville en direction d'Avignon. Dans les Alpes, les troupes Américaines ont été relevées par des unités Françaises.

A Marseille, la bataille continue, implacable. La gare Saint-Charles et la poste sont prises. Au cours d'un accrochage, les Maquisards de Trets ont deux blessés dont un ne survivra pas à ses blessures.

Au Sud d'Avignon, le pont de bateaux étant opérationnel, les "lights" des Fusiliers-Marins de la 1ère DFL commencent à franchir le Rhône.

Prés de Montélimar, plusieurs villages sont libérés dont La Batie-Rolland. Les habitants qui avaient fui les combats, retrouvent leurs habitations dans un bien triste état. Ils n'en accueillent pas moins avec chaleur les soldats libérateurs.

A Romans, le Capitaine Moine s'est installé à 2 kilomètres de Pizançon. Le Commandant "Legrand" fait une liaison au P.C.. Les 2ème et 3ème Escadron reçoivent l'ordre de quitter les environs du barrage à 22 heures et de gagner les bois vers Bois-Vert.

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Suite...

Association des Anciens du 11ème Cuirassiers Vercors Vosges Alsace
Maison du Combattant
26 rue Magnard 26100 ROMANS-SUR-ISÈRE
http://www.11eme-cuirassiers-vercors.com
Réalisation BCD Informatique