QUE S'EST-IL PASSE DANS LE DIOIS
DURANT NOTRE ABSENCE ?

Dimanche 16 Avril 1944 - DIE

Dés l'aube, Miliciens et G.M.R. se déploient en force dans DIE, occupent la gare, tous les carrefours et toutes les sorties. Les identités sont systématiquement contrôlées, des gens sont maltraités. La mairie est occupée et des dégâts y sont perpétrés; notamment, le buste de Marianne est jeté par la fenêtre.

Le couvre-feu est décrété de 19 heures à 7 heures du matin. Tous les accès au VERCORS sont bouclés.

Lundi 17 Avril 1944 - Les Pains

A ROMEYER, prés de DIE, le maire, monsieur FIALLOUX, a fait faire à l'avance un nombre de pains assez important par le boulanger du village; pains destinés au C12 qui doit venir les chercher dés qu'il se sera installé à CHAROSE. Les pains sont empilés sur la grande table de la maison du maire quand il est averti que les Miliciens s'apprêtent à faire une incursion à ROMEYER; aussitôt, il fait distribuer les pains dans les maisons environnantes par son équipe à raison de quatre ou cinq pains par foyer. Après avoir fait nettoyer sa table, il fait placer des verres, sortir des bouteilles de vin et, quand les Miliciens arrivent, il leur paye un coup à boire.

Le chef Milicien lui fait part de son étonnement devant le nombre de pains qu'il a vu dans certaines maisons. Ne perdant pas son sang froid, monsieur FIALLOUX lui explique:

"C'est volontairement que j'ai fait fabriquer tous ces pains à l'avance pour plusieurs jours, car le four de notre boulanger a besoin de réparations, il va nous lâcher un de ces jours. Il va bien falloir l'arrêter pour le réparer avant qu'il nous lâche définitivement !"

Trouvant le raisonnement logique, le Milicien n'insiste pas et repart avec ses acolytes. Pendant ce temps, le C12 parti du CHATEAU-DES-GARDES a rejoint CHAROSE. Dans la soirée, nous venons chercher ces pains que monsieur FIALLOUX a fait récupérer entre-temps.

Mardi 18 Avril 1944 - Cercueil en zinc

Le matin de ce mardi, "PAYOT" quitte le camp établi à CHAROSE pour aller à DIE voir sa mère et son beau-père, monsieur CARTON. Il veut aussi se rééquiper en sac de montagne pour remplacer celui qu'il a confié à "RIBOULDINGUE" et prendre des affaires personnelles.

Les Miliciens sont venus voir monsieur CARTON lorsqu'ils ont appris qu'il était plombier. Ils voulaient lui faire fabriquer un cercueil en zinc pour doubler un autre normal en bois afin de transporter un corps sur une longue distance. Naturellement, monsieur CARTON leur a posé des questions. Il a ainsi appris que les Miliciens ont redescendu à DIE leurs blessés et leurs morts tombés sur le plateau de BEURRE. Le cercueil en zinc est destiné à rapatrier chez lui un chef Milicien qui a été tué à bout portant d'un coup de fusil en pleine tête. "PAYOT" nous rejoint avec le sac de montagne de son Beau-père. Quand il nous raconte l'histoire du cercueil en zinc spontanément, les Maquisards présents, sont pris d'un fou-rire général. Le sort a voulu que le Beau-père finisse le travail du gendre !! Vraiment au C12, on ne fait rien comme les autres.

A DIE, les jours suivants, la Milice procède comme partout ailleurs. Les arrestations succèdent aux dénonciations, interrogatoires, brimades, coups, tortures et déportations sont devenus monnaie courante.

Nuit du 23 au 24 Avril 1944

Prés du pont des Chaînes, à DIE, des Maquisards du C11 attendent le retour de DAGOSTINI dont la voiture a été repérée à l'aller. A son passage, ils lui envoient une grenade gammon. Ils ratent la voiture. La grenade explose à l'arrière. Sous le choc, elle fait une embardée, mais peut continuer sa route vers le VERCORS. Le lanceur de la grenade est très sérieusement commotionné par l'explosion et il lui faut plus de vingt minutes pour s'en remettre.

Le C12 est depuis plusieurs jours dans le TRIEVES, au lac du POURSOLLET quand la Milice quitte enfin DIE.

MAISON FORESTIERE DE LA COCHE VERCORS

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De retour des OURS d'où nous avons rapporté pains et matériel; nous reprenons notre train-train habituel: Gardes, corvées et ravitaillement.

"PAYOT" avec la complicité de la gendarmerie de DIE, organise un coup de main contre la régie des tabacs de la ville qui vient de recevoir son quota périodique de rations. Afin de tromper les enquêteurs officiels de VICHY, et pour "dédouaner" les gendarmes de DIE, du sang est épandu par plaques sur la chaussée et sur les trottoirs. Au signal, lorsque le chargement est terminé, Maquisards et gendarmes tirent sur les cheminées. Le rapport de gendarmerie mentionnera que les "terroristes" se sont retirés en emportant leurs morts et leurs blessés.

Dans l'euphorie de cette abondance un nous chargeons les colis en faisant la chaîne. Nous sommes entourés de nombreux badauds. Avant de nous retirer avec notre butin, nous distribuons généreusement tabac et cigarettes brunes ou "vertes" à tous ceux qui tendent leur mains. Quelques temps plus tard, d'authentiques Résistants DIOIS, nous feront part de leur désappointement d'avoir été oubliés dans la distribution au profit de non-Résistants, de sympathisants de VICHY, voir même de collabos. A notre retour au camp, nous en informons PAYOT" qui, nous le croyons, a réparé cette erreur.

Ce stock de tabac est placé sous les roches qui surplombent le vide, prés du Col géographique du ROUSSET. Sur le champ, nous touchons une petite réserve de tabac plus un véritable assortiment de cigarettes. Quelle tabagie !!

Nous avons décidé d'organiser un match de foot contre le C13, mais le terrain ne s'y prête guère, il est tout petit et plein de trous. "FILOCHARD" est évacué une nouvelle fois, avec une entorse, "LA MOME" le suit, malade.

"HARDY", qui est avec nous en ce moment, pense qu'il serait utile, voir nécessaire, que le plus grand nombre sachent piloter une moto. Aussitôt , l'entraînement commence, ce qui ne va pas sans plaies ni bosses. Quant à "HARDY" lui-même, il a décidé de s'entraîner à la conduite d'une voiture légère. Cela ne durera pas longtemps. Dans la descente qui va au village du ROUSSET, il rate un virage et se retrouve sept mètres plus bas dans un trou. Si lui s'en sort assez bien, la voiture, elle, est morte. Finie l'auto-école !!

Souffrant d'une bronchite qu'il traîne depuis quelques temps, "CALVA" est évacué sur DIE. Il est soigné à l'hôpital. Comme il est dangereux de recevoir des Maquisards, les soeurs ne peuvent pas le garder et lui demande de gagner un refuge plus sûr. Elie BROCHIER des Equipes Civiles de DIE, le place chez monsieur BLACHE, instituteur, membre de son groupe de Résistance.

Le soir même BROCHIER vient le chercher et lui demande s'il peut intervenir auprès des F.T.P. qui, en convoi, veulent stationner à DIE. Ceux-ci sont très mal vus par la population DIOISE. Ce sentiment de rejet n'est pas sans raisons valables, à un tel point, que les Résistants DIOIS ont déjà demandé qu'on envoie le C12 pour exercer la police dans la ville et remettre de l'ordre. La direction militaire du VERCORS fait la sourde oreille, car elle considère avoir d'autres "chats à fouetter" que de détacher une unité pour faire la police à DIE.

Les F.T.P. ont un des leurs qui s'est blessé accidentellement avec son propre pistolet en descendant d'un camion. "CALVA" leur demande de poursuivre leur route les assurant que le blessé sera pris en charge par la Résistance de DIE. Il sera soigné sur place et rejoindra dés que possible leur groupe. Sans trop discuter, tout s’arrange.

15 Mai 1944

Suite au dégel et aux gardes dans l'humidité, sans habits, couvertures, gants, beaucoup ont pris froid. "PARE-CHOCS" malade lui aussi, arrive à l'hôpital pour être soigné. Par la suite, il est pris en chargé lui aussi par des civils DIOIS, ainsi que d'autres Maquisards du C12. Après quelques jours de repos et de soins, nous remontons à PRE-GRANDU pour ensuite, partir pour LA GRANDE CABANE. Nous faisons notre ravitaillement à la fontaine GERLAN jusqu'où la voiture arrive sans pouvoir aller plus loin.

LA GRANDE CABANE

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20 Mai 1944

Beaucoup de Maquisards sont passés par LA GRANDE CABANE qui est située dans un repli de terrain. C'est une grande maison d'une seule grande pièce surmontée d'un grenier à foin qui sert de dortoir. Elle est suffisamment grande pour héberger une quarantaine de gars.

Bien entendu, il n'y a pas d'électricité mais cela ne nous gêne que parce que ça nous prive de T.S.F.; donc pas de nouvelles de l'extérieur. Il en était de même à LA COCHE et PRE-GRANDU qui, pourtant sont situés beaucoup plus prés du village de ROUSSET. Malgré tout, on ne s'ennuie pas, "PHEBUS" et "TATAVE" se chargent de nous distraire en amusant tout le monde avec leurs histoires drôles, vraies ou fausses, de paysans. Ils se sont spécialisés dans ce répertoire qu'ils interprètent à la perfection, avec l'accent du terroir.

Bien des soirs, lorsque nous essayons de nous endormir dans le foin du grenier, "PHEBUS" se met à imiter le coq, la poule, le canard etc...etc....une vraie basse-cour; pour passer progressivement à la ferme entière en imitant le chien, le cochon, la vache etc...etc.... avec un tel réalisme qu'on s'y croirait vraiment. Fatigués de la journée, tout le monde rouspète et à chaque fois cela se termine par une éjection en règle à trois ou quatre qui l'attrapons par les bras et les pieds, et…..hop ! l'expédions par la porte du grenier donnant sur l'extérieur. Heureusement, il y a un tas de foin qui amortit la chute. Quand il est en bas, il lance à la cantonade :

"Je vous emmerde tous !!"

Puis il se met à ronfler.

Que c'est beau la jeunesse !!

Il a été décidé que allons faire un exercice de combat à LA GRANDE CABANE. Le thème de la manœuvre : simulation de l'évacuation des lieux en catastrophe par le C12, le C13 étant l'assaillant ennemi. Tous ont reçu comme consigne de tirer sur la cime d'un sapin situé à proximité lorsqu'ils aperçoivent un "ennemi". Au moment du décrochage, "CALVA" ne doit qu'à sa vivacité de ne pas être "mouché" par la balle qu'inconsciemment un camarade tire en barrant le sentier. Il plonge littéralement et détourne l'axe de tir en relevant le canon du fusil. La balle se perd dans la nature.

A la fontaine de GERLAN, l'eau arrive par des dalots en bois dans un tronc d'arbre creux qui sert d'abreuvoir aux moutons. Tous les jours, nous venons y faire notre toilette car il n'y a pas d'eau à LA GRANDE CABANE. Le club des "nudistes" du C12 y vient faire ses ébats.

25 Mai 1944 - le Professeur Milicien

A la suite d'une alerte sérieuse, le C13 se replie sur GERLAN, puis retourne à PRE-GRANDU. Il nous semble que le C11 doit être à BEGUERE.

Un jour de ce mois de mai 1944, un professeur de GRENOBLE veut faire un coup d'éclat, avant d'entrer dans la Milice. Il a décidé de dénoncer les lieux où se tiennent les camps de Maquisards. C'est, du moins ce qu'il défendra mordicus lorsqu'il sera interrogé. Après être passé par le PAS-de-la-VILLE, il arrive à PRE-GRANDU où il est arrêté à un poste de garde du C13. Comme les Maquisards du C13 sont tous vêtus avec des uniformes bleu-horizon, il croit être tombé sur un camp de Miliciens en manœuvres. Persuadé que les Maquisards ne peuvent être aussi bien habillés, le parc auto important au C13, le conforte dans son erreur. Notre candidat Milicien, emmené à la maison forestière devant "RAOUL" ne veut pas croire qu'il est tombé sur un camp de Maquisards. Même un simulacre de fusillade n'arrive pas à le convaincre. Il argumente :

"Si vous étiez des Maquisards, vous ne laisseriez pas traîner toutes ces grenades sur la cheminée, car j'aurais vite fait de vous en balancer quelques unes ! !"

Venus pour une liaison à PRE-GRANDU, nous constatons avec une certaine inquiétude que les préposés à la garde du prisonnier ne prennent pas assez de précautions quand ils l'emmènent faire ses besoins naturels prés du bois. Nous leur faisons remarquer :
-qu'il pourrait "gicler" sans qu'ils leur soient possible de réagir à temps,
-qu'il n'y a que quatre mois qu'au ROUSSET, les Feldgendarmes leur avaient déjà joué le même air.

Après consultation avec "HARDY", "PAYOT" veut en avoir le coeur net, savoir ce que le Milicien a bien pu apprendre sur les camps etc…etc…

Il va lui jouer un tour pour l'amener à se dévoiler. Il demande à plusieurs gars du C12 d'essayer un uniforme récupéré sur un Milicien tué quelques jours auparavant. Trop petit, seul "LA MAURICAUDE" arrive à l'enfiler.

"PAYOT", dans son uniforme militaire Français impeccable, accompagné de "LA MAURICAUDE" l'habille en Milicien, se présente au C13, chez "RAOUL". Ils entrent dans la salle, claquent les talons, saluent à la boche en criant "Heil Hitler!". Le Milicien complètement abusé raconte son histoire avec force détails. C'est un véritable idéaliste. Il est irrécupérable. Il est comme nous, mais dans l'autre camp ! Il est indéniable que cet homme a du courage, car il faut être particulièrement gonflé pour se promener ainsi seul dans le VERCORS, surtout à cette époque.

Il en sait vraiment trop pour que nous le laissions repartir. Le verdict des camps rejoint celui du P.C. VERCORS SUD de "THIVOLLET": LA MORT !!

Le lendemain, quand il voit arriver en uniforme "HARDY" suivi de "PAYOT" et le C12 défilant d'une façon impeccable, l'arme sur l'épaule et au pas cadencé, quand il voit le C13 parfaitement aligné sur trois rangs et présentant les armes; le Milicien réalise enfin ce qui l'attend et il fait face courageusement. Le C12 manœuvre et se place à la suite du C13.

Le peloton d'exécution se compose de six hommes : Trois du C12 et trois du C13. "PAYOT" passe aux hommes désignés du C12, "SEPPI", "LA MOME" et "CALVA", les fusils dont l'un d'eux est chargé à blanc. Le coup de grâce réglementaire est donné par un sous-officier du C13. "HARDY" fait présenter les armes par les deux camps. Le Milicien est enterré devant la maison forestière de PRE-GRANDU, un peu à droite. Sur sa tombe l'épitaphe:

"Ci-git un traitre à sa Patrie"

Quelques temps plus tard, la nuit est fort avancée, une météorite s'écrase non loin du Camp de "RAOUL". Croyant à une attaque Allemande ou de leurs sbires, les Maquisards du C13 décrochent à toute allure et rappliquent à LA GRANDE CABANE dans un épais brouillard. La sentinelle du C12 ne voyant absolument rien, mais entendant très bien leur arrivée, donne l'alerte. Très rapidement, tout rentre dans l'ordre.

En patrouille prés de MOULIN-LA-PIPE, lors d'une mission qu'il avait effectué le 16 Avril 1944 auprès de "THIVOLLET", "LA TORNADE" avait reçu plusieurs éclats de grenade. Gravement blessé dans la région du cœur, il avait été heureusement évacué très rapidement et soigné efficacement. Il nous rejoint.

30 Mai 1944 - Les Nouveaux

A ce jour, plusieurs jeunes sont venus renforcer le C12 à la GRANDE CABANE :

"PEKIN" (ROUX Roger de DIE)
"ZOULOU" (PERIDON Georges)
"CADET" (ROUSSEL de DIE)
"GILBERT" (PATARD Robert)
"BOUGUIGNON" (JANNERET Marcel)
"GROGNARD" (BONNERONT Jacques)
"CHARVIER" (COQUELIN Marc)
"TRENTE-SIX" (THIEULE André)
"BAGNAUD" (AGOSTINI)

Comme on ne sait pas comment surnommer André THIEULE, et qu'il est le trente-sixième arrivé au camp, nous le baptisons: 36. Il est le quatrième Normand du CALVADOS.

Le 4 Juin 1944

Dés l'aurore, nous sommes mis en alerte…Les Allemands seraient dans la vallée. "RAOUL" et son C13 nous rejoignent à LA GRANDE CABANE. "RAOUL" a envoyé une patrouille en bas avec mission de ramener des mulets pour évacuer le matériel lourd de son camp de base.

"PAYOT" nous passe ses consignes:

"PINTCH'' restera avec "BAGNAUD". Leur mission sera de transporter en voiture par la route, le supplément de matériel du C12 (aussitôt porté à la fontaine de GERLAN prés de la route carrossable). "PINTCH" a reçu l'ordre de nous rejoindre dans le DIOIS.

Quant à "CALVA" et "PARE-CHOCS", ils doivent guider "RAOUL" et son C13 jusqu'au PAS de CHABRINEL dont ils ignorent même l'existence. "PAYOT" a tellement l'habitude que ses gars se débrouillent tout seuls, qu'il ne pense même pas que, ce qui lui paraît évident, ne l'est pas forcément pour les autres...

Il sont bien avancés lorsque "PAYOT" leur dit :

"Vous trouverez bien ! c'est à droite du PAS de la SELLE !!"

Munis de ce seul renseignement, ils accompagneront le C13.

Moins d'une demi-heure après le début de l'alerte, "PAYOT" et le C12 sont déjà partis pour le PAS CHABRINEL.

Quant à nous, nous attendons toujours les muletsà la GRANDE CABANE. "RAOUL" essaye de nous expliquer sa stratégie: Il a scindé son camp en deux : un camp léger et un lourd, le camp léger du C13 doit protéger le camp lourd. Ce dernier est armé avec les fameux mortiers Néo-Zélandais que le C12 n'a pas voulu garder à la suite d' essais inefficaces, d'armes diverses comme ce fusil curieux: arme énorme reposant sur un trépied, tirant des balles de gros calibre. Ce dernière est sensé être fusil anti-char !!? Nous n'avons jamais vu, ni revu un tel engin par la suite. Connaissant la mobilité des Fritz, nous restons perplexes devant des gars empêtrés de matériels inadaptés pour nos combats. Quant au recul d'une telle arme ??!!

Nous continuons de piétiner sur place en attendant l'arrivée des mulets et nous nous demandons quand nous allons faire mouvement. D'avoir laisser partir le C12 sans nous, nous laisse un sentiment d'insécurité difficile à réprimer. C'est à cet instant que survient un incident peu banal. Avec une soudaineté extraordinaire sans que nous ne nous y attendions, "RAOUL" nous ordonne de nous rassembler en cercle autour de lui en hurlant :

"Il y a un traitre parmi nous; qu'il sorte, le salopard !"

Nous nous regardons, surpris et un peu inquiets. A cet instant, "RAOUL" saisit une bouteille vide et la brise sur la tête d'un de ses gars. Il sort de sa poche des lettres, prétend que le type a dénoncé sa fille ?!? qu'il va le faire fusiller. Mais il dit qu'il en a marre de fusiller des gens, il ne fait plus que ça, deux en si peu de temps etc… etc...(sic) Il est surexcité à l'extrême. En réalité, il n'est plus sous l'effet de sa piqure de morphine et n'a pas encore eu la suivante: Il est en manque. Le fautif pleure comme un gosse et propose de s'appliquer des punitions extravagantes, de marcher nu-pieds à pleine charge sur les rochers. Ceux sur lesquels nous sommes actuellement sont particulièrement coupants, de véritables lames de rasoir.

Les Normands du C12 s'interposent et discutent d'abord avec le gars et ensuite avec "RAOUL". Pendant ce temps, "POTARD" son homme de confiance, surtout son homme à tout faire, prépare une piqûre et lui injecte sa dose de morphine. Il redevient immédiatement calme.

"CALVA" argumente avec "RAOUL" et parvient à lui faire admettre que ce n'est qu'un pauvre type qui ne peut guère nous menacer; du moins, pour le moment. Il a appris son histoire: elle est lamentable. Voulant aller rejoindre sa petite amie à MARSEILLE, mais n'ayant pas le moindre argent, il a voulu s'en procurer en proposant, par écrit, ses services à la Gestapo de GRENOBLE. C'était sans compter sur la vigilance des postiers français acquis à notre cause. Ils ont intercepté son courrier et transmis son double à la Résistance. Cette dernière a bien essayé de l'arrêter, mais il a réussi à éviter in piège tendu et s'est réfugié dans les rangs du maquis. En entrant au C13 Il se croyait en sécurité. Son dossier l'a suivi jusqu'au camp, la Résistance sachant très bien où il se trouvait.

"RAOUL" est maintenant calmé. On baptise le traitre "GESTAPO" et tout revient dans l'ordre. Entre temps les mulets sont arrivés et les Maquisards du C12 les chargent. "GESTAPO" s'astreint à marcher nu-pieds, sac au dos, chargé à bloc. Il en "bave" tellement que nous sommes enclins à nous apitoyer sur son sort. Nous apprendrons plus tard qu'il est tombé en brave en combattant les boches les armes à la main. Ce pauvre type avait enfin choisi son vrai camp.

"RAOUL" prétend que les mulets passent partout. Etant donné notre expérience antérieure avec "LA TERREUR", nous prétendons le contraire. Ils glissent sur les rochers et Ba-da-boum ....., les obus de mortier roulent par terre.

"Que l'on mette ma machine à écrire sur le mulet le plus doux" crie "RAOUL". Ce que fait "POTARD".

Dix mètres plus loin, le mulet est à nouveau sur le cul et la machine à écrire par terre. Si cette dernière marche encore, "RAOUL" aura bien de la chance.

Craignant qu'un obus de mortier, ainsi maltraité, ne vienne à exploser, nous prenons la tête de la colonne, ce qui est notre place comme guides. Bien souvent nous devons attendre le reste de la colonne car, les incidents succèdent aux incidents. Finalement, il faudra plus de quatre heures à "RAOUL" et à ses camps pour faire un trajet que le C12 a du faire en moins d'une heure. Vers la fin du parcours, nous partons en éclaireurs pour localiser ce fameux PAS CHABRINEL. On peut dire que nous avons de la chance, car nous tombons pile dessus.

Arrivés au PAS, nous constatons un à-pic d'une vingtaine de mètres franchissable assez aisément à pieds. Nous ne savons pas s'il y a un passage plus facile; mais, dés le sommet, "RAOUL" et ses camps sont arrêtés. Nous ne voyons pas très bien comment ils vont faire franchir cet obstacle aux mulets. Comment "RAOUL" va-t-il s'y prendre ? Pense-t-il les descendre à la corde ?!?

Estimant avoir rempli notre mission qui était de conduire "RAOUL" et les siens jusqu'au PAS CHABRINEL, nous leur faisons nos adieux, pas mécontents de les planter là. A eux de se....débrouiller seuls maintenant.

Pour nous deux, la descente est rapide. Nous avons hâte de retrouver les copains et surtout de casser la croûte; car, servir de guide, c'est bien beau, mais cela ne nourrit pas son homme. Il fait nuit quand nous arrivons à ROMEYER. Là, nous sommes pris en charge par la résistance locale; nous soupons et nous nous couchons, épuisés, à CHAROSE.

5 Juin 1944 - "PATARD" accidenté

Au matin, une voiture pilotée par un gars du garage BRUNEL de DIE, vient nous chercher pour nous emmener à CREYERS. Jacques BRUNEL fait partie des arrivants. Il reste avec nous au C12 et est baptisé "JACQUOT". Il est le trente septième.(BAGNAUD non compté)

Les "godasses cartons" n'ont jamais été conçues pour faire de la montagne et surtout descendre à vive allure un PAS tel que celui de CHABRINEL. Elles n'ont pas supporté l'épreuve que nous leur avons fait subir, elles sont mortes. Mais que dire de nos pieds ?! Dans un état déplorable, pleins d'ampoules et très échauffés, "CALVA" décide de se coucher pour récupérer. C'est la seule chose raisonnable à faire.

"PARE-CHOCS" apparemment moins éprouvé est parti faire une virée en moto torse nu avec FILOCHARD". Dans un tournant, ils dérapent et chutent. "FILOCHARD" et sa moto s'en sortent avec quelques égratignures, mais pas "PARE-CHOCS" qui revient en sang. Après les premiers soins, il ressemble à un peau-rouge!

Il fait beau, la température est agréable, tous les gars sont joyeux, car chacun a le sentiment qu'avec les beaux jours, la libération se rapproche. Soudain un drame se produit. De retour de garde à l'entrée de CREYERS qui l'a vu naitre, "PEKIN" exécute ce que nous faisons tous au retour de la garde. Il neutralise sa mitraillette STEN. Assis par terre, dos au mur dans la pièce tout en discutant avec les copains qui se reposent, il extrait la balle qui se trouve dans le canon et enlève le chargeur. Bien qu'il soit avec nous depuis quelques temps, il commet une erreur de novice. Sans se retourner comme on a tous l'habitude de le faire inconsciemment, il appuie sur la détente de son arme. Double erreur !! il aurait dû exécuter le processus d'une façon tout à fait différente: Tout d'abord, enlever le chargeur, puis éjecter la balle se trouvant dans le canon, se retourner pour plus de sécurité et appuyer sur la détente de son arme afin de s'assurer que celle-ci est bien neutralisée. En fait à son insu, il a réintroduit une balle dans la canon de sa STEN. Elle frappe le carrelage, ricoche et vient toucher "PATARD" au genou. Aussitôt les secours s'organisent. Le malheureux "PATARD", gravement touché, est évacué sur l'hôpital de DIE pour y être soigné. Par la suite, il sera dirigé sur l'hôpital de SAINT-MARTIN-EN-VERCORS.

Nous avons peur que "PEKIN", complètement effondré, ne fasse une bêtise. Nous nous relayons pour l'entourer du mieux que nous pouvons, mais cela ne peut réparer ce qui vient d'être fait. Tout le monde est triste et la soirée si bien commencée, se termine dans la morosité.

6 Juin 1944

Encore sous le coup de ce qui s'est passé la veille, le réveil est dur. "PAYOT", comme d'habitude, est parti aux nouvelles. Il revient tout essoufflé, fou de joie. Il a tellement hâte d'annoncer l'événement du jour :

Ça y est ! Les Alliés ont débarqués en NORMANDIE !

Des hourras accueillent cette bonne nouvelle. Les Maquisards sautent de joie comme des gamins et s'embrassent. Il y a si longtemps que nous l'attendons ce débarquement !! Nous ne savons pas comment "PAYOT" l'a appris, mais du moment qu'il le dit......C'est le bonheur !

"PAYOT" décide d'exécuter les ordres reçus de l'Etat-major du Général DE GAULLE donnés par la radio de LONDRES : Gêner par tous les moyens l'activité ennemie, en particulier les transports. Il part avec "FILOCHARD" en moto pour s'entretenir avec un chef de gare de la ligne DIE-VEYNES-GAP, sur ce qui serait, le plus susceptible de perturber le trafic.

"Si nous faisions sauter la voie ferrée, qu'est-ce qui gênerait le plus ?"

Le chef de gare, après quelques instants de réflexion :

"Ah ! Il est certain que ce serait les aiguillages !!"

"Eh! bien, ils vont sauter, écartez-vous-en !!"

Effectivement, peu de temps après, ils sautent. "PINTCH", revenu dans la nuit du 4 au 5 Juin 1944, a rapporté tout le matériel nécessaire.

"PAYOT" a reçu l'ordre de rejoindre le VERCORS…sans délai.

Tous les Maquisards briquent leur tenue, cirent leurs souliers (à ce propos, nous en avons touché une nouvelle paire toute neuve, mais c'est toujours des godasses "carton"), brossent leurs habits et fourbissent leurs armes.

Lorsque tout le monde est prêt, nous sommes transportés en camion jusqu'à DIE au garagie BRUNEL où plane un air de fête.

"PAYOT" nous passe ses consignes, nous allons défiler dans DIE. Après une rapide inspection, il prend la tête de la formation de ses trente-sept Maquisards, colonne par trois, arme sur l'épaule, au pas cadencé, nous défilons. Dans un ordre impeccable, fiers, nous traversons DIE sous les ovations d'une foule vite rassemblée sur les trottoirs. Puis nous arrivons et manœuvrons devant le monument aux morts de la ville. Là, après une brève allocution, "PAYOT" fait présenter les armes et observer une minute de silence :

"POUR CEUX QUI VONT MOURIR"

Les gendarmes, présents, saluent et la cérémonie est ponctuée par deux coups de fusil.

Le C12 manœuvre à nouveau, puis forme les faisceaux. Avec des fusils Anglais, ce n'est pas très facile car ils n'ont pas été conçus pour cela.

Comme c'est un événement vraiment exceptionnel, "PAYOT" a invité tous les gars à boire un coup. Une telle invitation gratuite ne se refuse pas et ils se précipitent vers le bistrot de la place. Les armes, et surtout les armes automatiques comme les F.M., attirent la curiosité et la convoitise de certains curieux. Beaucoup trop au goût de "CALVA" qui, très méfiant, est resté à les surveiller sur la place. Il ne s'agit pas qu'on nous en pique ! Au bout d'un certain temps,"PEKIN" vient le relayer et il peut enfin, aller boire un coup avec les autres.

De nombreux jeunes DIOIS voudraient s'engager et nous le demandent. Ce n'est pas notre affaire, c'est celle de "PAYOT". Nous nageons en pleine euphorie.....

--ooOoo--

Suite...

Association des Anciens du 11ème Cuirassiers Vercors Vosges Alsace
Maison du Combattant
26 rue Magnard 26100 ROMANS-SUR-ISÈRE
http://www.11eme-cuirassiers-vercors.com
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