VASSIEUX-EN-VERCORS

Au soir de ce 6 Juin 1944, le C12 monte à VASSIEUX-EN-VERCORS en camions. Nous nous installons à l'école où nous couchons tout habillés. Nous n'avons qu'une seule couverture par homme. "CALVA" fait équipe avec "GROGNARD''. A deux, nous nous tiendrons chaud mutuellement. Que cela peut être dur le carrelage nu ! "GROGNARD" lui, s'est entraîné à dormir sur le dos avant souffrir de prendre le Maquis, et ne semble pas souffrir de la dureté du sol. Il dort comme un loir.

Le lendemain de notre défilé à DIE et les jours suivants, de nombreux jeunes arrivent à VASSIEUX pour s'engager au C12. Celui-ci est devenu tellement énorme que cela pose des problèmes sérieux, de ravitaillement principalement, mais aussi de formation militaire. C'est à un tel point que nous demandons à "PAYOT" de créer un autre camp, car il nous est impossible de nous occuper de tout ce monde. Notre demande tombe totalement dans le vide car il y a belle lurette que cela a été prévu par le commandement.

Arrivent, du 7 Juin au début Juillet 1944, les jeunes hommes suivants, qui resteront au C12 :

"LA LUNE" BONJEAN Raymond
"FIL A PLOMB" BOREL Pierre
"ROBY" BRUNET Robert
"LE REVEREND" DELAS Henri
"LA FLECHE" DESCOUR Jacques
"POPOFF" DONAT Philippe
"ZAZOU" FOIX Jean
"VASCO" FRANCE Maurice
"?" JUBAN Marcel
"?" LAY Raymond
"?" LEFEVRE ?
"L'HERMITE" NOIROT Jean
"MITRON" ODLON Henri
"?" RAMPAUD Claude
"LE MONGOL" VERNON Jean
"ALHOA" RIVIERE ?
"COSAQUE" ? ?
"GELINITE" ? ?

"CHARVIER" (COQUELIN Marc) est chargé de constituer le C15. Dans ce camp, il y aura entre autre :

"CASTOR" DUSSERRE Robert
"M'EN FOUS" SIBLEYRAS ?
"JULES" BIETRY ?
"BEPPY" PEOTTA Alerame
? BERDOUILLE Raoul
? PORCHEDU Jean
? ROUSSIN Yves
etc…etc…

"DOMINIQUE" (ISRAEL Dominique), arrivé à VASSIEUX, est chargé de former et d'organiser le C18 avec "TONIO" (NAL Antoine).

Le C18 est constitué de garçons, pour la plupart originaires de PONT-DE-QUART. Ils sont venus en autocar de VASSIEUX. AUBERT, BALANCA, BOIS, DIETRICH, NAUD, etc… Du C12, nous nous séparons à regret de "LA CHIUME" qui doit renforcer le C18. Dans les derniers arrivés au C12, plusieurs sont mutés, soit au C13, soit au C18. L'effectif des chacun de ces camps sera d'une trentaine d'hommes.

Le C16 et C17, constitués avec une majorité de Nord-Africains, sont placés sous le commandement de "BAGNAUD" qui a rejoint le C12 le 30 MAI 1944à LA GRANDE CABANE. Il y a aussi dans les rangs du C16 les S/Lt DAGOT et PIANI et "QUINZE GRAMMES" qui deviendra plus tard le Général de Division Xavier OLLERIS. Pendant un certain temps, le C16 sera cantonné au CHATEAU .

Le C12 manœuvre et fait des exercices de tir sous la conduite de "PAYOT". Il utilise le terrain vallonné et buissonneux situé à droite de la route allant vers le COL SAINT-ALEXIS, tout prés de VASSIEUX.

8 Juin 1944 - Mobilisation Générale

La mobilisation générale est. décrétée aussi bien dans le VERCORS que dans les alentours immédiats. De partout des hommes convergent vers le plateau. Les coups de main contre les Fridolins se multiplient. Les accrochages augmentent en nombre. "BAYARD" ou "PERIMETRE" installe son Q.G. au RANG-DES-POURRETS. "CLEMENT" (CHAVANT) et MALOSSANE Benjamin s'installent à SAINT-MARTIN. Un hôpital militaire est également installé à SAINT-MARTIN par les médecins GANIMEDE et FISCHER.

D'autre part, un camp de prisonniers pour "COLLABOS" est installé à la gendarmerie de la CHAPELLE-EN-VERCORS.

Les sabotages coupent les voies ferrées de toutes parts. Les Allemands commencent à s'énerver. Toutes les sorties du VERCORS sont bouclées suivant les plans prévus, toutes les unités de la Résistance ont gagné leurs emplacements respectifs.

Avec le renfort de nombreux jeunes, le C11 est devenu pratiquement un escadron. A lui seul, il tient le COL-DU-ROUSSET. Pratiquement, de front, du côté DIOIS, le Col est imprenable.

Le C12 est cantonné à VASSIEUX. Il atteint maintenant la cinquantaine de Maquisards.

9 Juin 1944

A la suite de l'ordre d'insurrection générale et de l'appel du 6 Juin 1944 du Général DE GAULLE demandant aux Français de combattre l'ennemi par tous les moyens, les voies de communications sont fermées par des barrages établis sur toutes les routes. Quand les Allemands constatent l'ampleur du soulèvement et son importance stratégique, qu'ils voient leurs voies de liaison coupées, ils réagissent brutalement. C'est, entre autre, les combats de SAINT-DONAT-SUR-HERBASSE, de SAINT-RAMBERT-D'ALBON, de CREST, de MONTCLUS pour n'en citer que quelques uns. Certes, les Allemands ont des pertes, mais ils font beaucoup de mal; fusillent des civils innocents et brûlent les habitations suivant leur méthode. A aucun moment ils ne feront de prisonniers parmi les Maquisards ou les Résistants pris avec ou sans armes à la main.

Avant le débarquement du 6 Juin 1944, il ne devait pas y avoir plus de 350 Maquisards disséminés sur le plateau du VERCORS et ses abords immédiats. Avec les Compagnies Civiles venues en renfort, l'effectif des Maquisards du VERCORS est monté d'un seul coup à plus de 2500 hommes. Il faut donc revoir toute la logistique. Une intendance est installée à la Mairie de SAINT-AGNAN-EN-VERCORS et un abattoir est improvisé dans le village. Le pain, lui, est fabriqué à LA CHAPELLE-EN-VERCORS.

Il fallait bien que la Résistance se débrouille pour ravitailler aussi bien civils que combattants. Tant que le VERCORS sera bouclé, c'est à dire jusqu'au 21 Juillet 1944, il n'y aura pas de problème, le plateau est essentiellement agricole et axé sur l'élevage. Nous ne manquerons d'aucun produit alimentaire de base tels que blé, pommes de terre, lait, beurre et viande. Au début même, nous recevons d'énormes biftecks et tellement de beurre que nous en perdons. Il devient rance. Les rations sont trop abondantes. La répartition se stabilise à une ration standard normale après nos échanges avec le DIOIS qui nous fournit en échange du vin et de l'huile de noix etc.. etc.. Il faut dire que l'aviation Alliée a d'autres priorités que de nous ravitailler en vivres par avion. Nous n'en avons pratiquement jamais reçu par parachutage, les Alliés envoyant de préférence des armes et des munitions à l'ensemble des Maquis de FRANCE et des pays Européens occupés telle la YOUGOSLAVIE. Cela, les Boches le savent bien et n'oublieront pas.

10 Juin 1944 - Accident mortel André SALISSON

La trouée de SAINT-NIZIER est verrouillée. La moitié du C12 (les jeunes réparties, au prorata, parmi les anciens) part en car du pont de GOULE NOIRE pour y monter la garde et effectuer des contrôles d'identité. "PARE-CHOCS" et "ATHOS" se retrouvent pourvoyeurs du F.M. de "SEPPI". Sans doute pour sonder le sérieux des factionnaires, "HERVIEUX" (Commandant HUET) essaie de se faire remettre le F.M. par "SEPPI". Comme il insiste, "SEPPI" lui dit d'aller le demander à "PAYOT", lui précisant qu'il ne fallait pas qu'il compte qu'on lu obéisse directement.

En-dessous de l'endroit où nous nous trouvons, est installé un camp de jeunes recrues. Ils viennent d'arriver. Nous avons entendu dire qu'il y a beaucoup d'accidents. En effet, la plupart ignore le fonctionnement des armes. Nous avons confirmation des bruits qui circulent lorsqu'en contrôlant les véhicules qui passent à notre poste de garde, nous apercevons un jeune que l'on emmène à l'hôpital da SAINT-MARTIN-EN-VERCORS. Il s'agit du jeune André SALISSON, 18 ans, qui est grièvement blessé à la tête par une balle. Il décédera le 24 Juin suivant à l'hôpital.

12 Juin 1944

Nous sommes relevés de notre poste de garde et de contrôle de la GOULE NOIRE et retournons à VASSIEUX-EN-VERCORS. Arrivés au village, nous apprenons que d'importants renforts de troupes Allemandes ont été observés se dirigeant vers GRENOBLE.

Dans le sud de la DRÔME, les Allemands de plus en plus inquiets de constater la multiplication des barrages de contrôle placés un peu partout sur les routes par les Maquisards, réagissent très brutalement. Il circule des bruits qu'il y aurait des morts à DIEULEFIT, TAULIGNANT, etc..etc..

Le C15, commandé par "CHARVIER", qui est cantonné à côté du C12 prés de l'école de VASSIEUX-EN-VERCORS, se déplace pour s'installer à la ferme GRIMAUD. Il est chargé de relayer le C12 à la réception des parachutages; ce qu'il fera presque jusqu'à la fin Juin 1944.

13 Juin 1944 - Attaque de SAINT-NIZIER

Dans la matinée, nous apprenons que, un peu avant 9 heures, les Allemands ont attaqué à SAINT-NIZIER-DU-MOUCHEROTTE. L'Etat-major Français du VERCORS s'y était préparé. Attaqués par les Alliés en NORMANDIE, inquiets de l'organisation militaire de tous ces Maquis sur leurs arrières, craignant que le VERCORS ne serve de base à des parachutistes Alliés lors d'un débarquement éventuel dans le midi, les Boches voient d'un mauvais œil toute cette agitation, ils ne peuvent pas ne pas s'occuper sérieusement du VERCORS. Notre commandement nous a fait miroiter le saut de plusieurs régiments de parachutiste Alliés pour établir un nouveau front en plein milieu des troupes Allemandes. Nous le croyons très sérieusement et cela nous rassure et nous transporte de joie et de fierté. Mais cela les Boches aussi ont dû l'apprendre.

Aussi, l'Etat-major Allemand a-t-il hâte de faire disparaître cet abcès, d'anéantir au plus vite ce bastion avant qu'il ne soit organisé davantage. Il le considère comme étant déjà très dangereux d'autant plus qu'il a déjà dû intervenir par le passé, alors qu'aucune action Alliée n'était encore engagée sur le sol Français.

Dans les jours précédents, la montée en masse des volontaires sur le plateau n'est pas passée inaperçue et a favorisé l'infiltration de nombreux Miliciens et Collabos. L'Etat-major Allemand est donc renseigné sur ce qu'il se passe chez nous. Il doit craindre pour la sécurité des ses Etats-majors, bureaux et dépôts se trouvant installés dans le voisinage immédiat, c'est-à-dire à SEYSSINS. Ils pensent que ces derniers peuvent être un objectif de choix pour les "Dissidents" qui se trouvent à SAINT-NIZIER-DU-MOUCHEROTTE, sur lequel flotte un immense drapeau tricolore, autant dire à leur porte.

L'ennemi sait que le front de SAINT-NIZIER (1180 mètres) est le plus facile à attaquer, donc le plus difficile à défendre. C'est ce que les montagnards appellent familièrement des la "montagne à vaches". En effet, il y a des pentes parfois assez raides, mais aucun obstacle difficile à franchir, comme des ravins ou des à-pics. Pour une troupe aguerrie comme l'est la WEHRMACHT, renforcée par des sections spéciales formées à la S.S., ce devrait être un jeu d'enfant.

Ce ne sera pas le cas !

La trouée de SAINT-NIZIER est défendue par 150 hommes de la compagnie BRISAC et les 120 hommes de celle de "GODERVILLE" (Jean PREVOT) dont la section de "LOULOU" (Louis BOUCHIER).

Nous n'avons à opposer à de véritables guerriers extrêmement bien entraînés que des Maquisards qui ont délaissé leurs ateliers, leurs champs ou leurs études, ne sont, pour certains, avec nous que depuis trois jours. Ce sont des néophytes dans l'art des combats. De plus, les Allemands ont un armement nettement supérieur, ne prenant que l'exemple du MP 40 qui est incomparable par rapport aux STENS Britanniques, danger permanent pour ceux qui le utilisent. De notre côté, l'armement lourd est quasiment inexistant, tandis que du côté des troupes assaillantes, les mortiers sont très nombreux et les munitions inépuisables. Nous avons bien un mortier de 60 du côté Français, mais avec si peu de munitions qu'elles seront vite épuisées.

D'autre part, les assaillants ont l'avantage du nombre. Ils ont mis en ligne un bataillon renforcé de 400 hommes engagés simultanément. Malgré cette énorme supériorité, l'ennemie ne progresse que pas à pas tellement la résistance opposée par nos gars est acharnée. Néanmoins, les Allemands réussissent quand même à installer une mitrailleuse sur la crête des CHARVETS, mais n'arrivent pas à la dépasser. De cet emplacement, ils tiennent nos positions du centre sous un feu croisé ce qui leur permet de lancer une attaque en direction du chemin creux, attaque immédiatement stoppée par les tirs des F.M. des Maquisards envoyés en renforts. Ils essaient alors de déborder nos positions en passant dans les buissons voisins, progressant sur les pentes boisées permettant d'accéder au pied des TROIS PUCELLES.

C'est sans compter sur la section des Chasseurs Alpins de l'Adjudant CHABAL qui arrive en renfort. Elle passe aussitôt à la contre-attaque en terrain découvert sur le plateau des CHARVETS. Plusieurs Chasseurs sont touchés, mais ils parviennent à repousser les Boches et à venir au secours de leurs camarades postés aux GUILLETS.

Parmi les héros du jour, il faut citer le maréchal-des-logis ITHIER qui fait front avec son bazooka et ses gammons. Hélas, le 15 Juin 1944, il sera tué.

Après de multiples tentatives pour rompre notre défense, les Boches sont persuadés que nous avons de l'artillerie. Ils abandonnent l'attaque et retournent à la TOUR-SANS-VENIN où ils ont laissé leurs véhicules. En fait, l'illusion d'artillerie vient de la performance des gammons qui en donnent l'impression.

Dans la soirée de ce premier jour de combats, les Allemands déménagent l'ensemble de leur matériel stocké à SEYSSINS et SEYSSINET, ce qui porte à croire que la résistance qui leur a été opposée à SAINT-NIZIER, les a fortement impressionnés.

Ce soir du 13 Juin 1944, à VASSIEUX, c'est le branle-bas de combat au C12. "PAYOT" a reçu l'ordre de venir en renfort à SAINT-NIZIER avec un peloton. VASSIEUX est loin des lieux de combats et malgré l'interdiction formelle du Capitaine "HARDY" certains anciens du C12 se sont empressés d'organiser un bal à la ferme BEC. "PAYOT", pour les punir, a décidé de ne pas les emmener avec lui à SAINT-NIZIER. Il part avec vingt-quatre hommes dont cinq nouveaux. Notre car gazogène est encore à la peine. Il emmène des gars insouciants. Nous avons un armement sérieux avec deux F.M. servis l'un par "SEPPI" et l'autre par "PHEBUS". Se joints à nous des Maquisards du C11 avec "GRANGE" et "LE FAUVE" (Paul ADAM).

Pour aller à SAINT-NIZIER, "PAYOT" a sous ses ordres : "GROGNARD", "FIL-à-PLOMB", "VASCO", "RIBOULDINGUE", "LA MOME", "KIKI", "LA LOULE", "PHEBUS", "PARE-CHOCS", "CUPIDON", "BACCHUS", "SEPPI", "CALVA", "PEKIN", "BARON", "MITRON", "TRENTE-SIX", "RAMBAUD", "TATAVE", "ATHOS", "PORTHOS", "LA MAURICAUDE", "TARTARE" et "PINTCH" qui est chargé du ravitaillement.

Le moral est très haut. Lorsque nous partons de VASSIEUX, nous entamons le chant "Une fille de mon pays".

A la sortie des GRANDS GOULETS, en passant à les BARRAQUES-EN-VERCORS, nous apercevons un canon de 25 installé au carrefour. Certains affirment avoir entendu dire qu'il n'est là que pour la frime, car il lui manquerait une pièce essentielle de culasse ?? !

Quand notre car gazogène arrive à LANS et s'arrête, la population nous acclame.

14 Juin 1944 - En ligne à SAINT-NIZIER

Le car repart et arrive à SAINT-NIZIER aux environs de minuit. "PAYOT" entre dans un hôtel pour demander quels sont les ordres et quelles positions nous devons occuper. On nous remet des brassards tricolores que nous mettons immédiatement. Accompagnés d'un guide, nous partons à pied, descendons dans la nature sans y voir grand chose et arrivons en un lieu inconnu. La lune apparaît progressivement et éclaire faiblement le paysage. Nous nous installons rapidement sur des emplacements provisoires, le temps pour "PAYOT" et "GRANGE" de reconnaître les lieux, d'en faire l'inventaire et de déterminer le emplacements de combat définitifs. Nous montons la garde, les armes posées sur le talus. L'endroit qui nous est attribué est celui où se sont déroulés de furieux combats la veille, c'est à dire le 13 Juin; cela a dû barder sérieusement !!

Au bout d'une heure d'attente, nous entendons un charivari incroyable. Ce sont des civils ("le génie") qui arrivent avec des pelles et des pioches pour faire nos trous de combat. "PAYOT" et "GRANGE" leur désignent les emplacements. Le sol est très dur et pierreux. On sent que nos terrassiers ont hâte de repartir. Les trous individuels et collectifs pour les F.M. sont bâclés. Celui de "CALVA" rassemble à un entonnoir. Il n'est pas assez profond et le lendemain matin, il se rendra compte qu'il faut qu'il soit à moitié couché pour pouvoir tirer avec son fusil. Si seulement on nous avait laissé des outils, on aurait pu les arranger ! Nous sommes loin des trous de combat que font les Boches quand ils sont sur la défensive. Et il peut en parler: Pour rejoindre son trou, il est dans l'obligation de passer par-dessus le talus, c'est-à-dire en plein découvert, ce qui s'avérera par la suite extrêmement dangereux. Toute la terre a été rejetée sur le dessus du talus. Nous n'avons pas de sac à terre. Ils nous auraient été pourtant fort utiles pour enlever toute cette terre excédentaire et créer un bouchon au bout de notre chemin creux. Si nous avions pu le faire il y a de grandes chances que notre "VASCO" n'aurait pas été atteint dans le dos au moment du repli.

La nuit passe dans le calme. Les Allemands ne sont pas là. Heureusement, car avec le chambard de nos terrassiers, nous aurions sûrement reçu une dégelée d'obus de mortier.

Entre les gardes, nous essayons d'égaliser la terre et de la camoufler avec de l'herbe que nous arrachons derrière nous. Le résultat obtenu n'est pas merveilleux.

Devant nous, nous avons un petit champ de quatre-vingt mètres environ de profondeur. Il descend en pente douce vers la vallée. Il est limité par une bordure d'arbres espacés de cinq à six mètres les uns des autres. Derrière cette ligne d'arbres, un fossé que le 15 Juin, les Fritz emprunteront pour se déplacer latéralement au front. Sur la gauche, ce champ est bordé par un chemin creux dont les talus portent des arbres entre lesquels des herbes folles, hautes et épaisses, masquent la vue. Sur le côté droit, en biais et sur la moitié de celui-ci, notre champ est limité par un petit bois. Parallèlement au front, à prés de deux mètres de haut et environ une trentaine de mètres de long, notre talus borde le chemin creux qui nous sert à nous déplacer à l'abri des regards d'en face. En retrait, il y a une maison. C'est derrière celle-ci que, bien caché, "PHEBUS" a placé son F.M..

Le P.C. de "PAYOT" et de "GRANGE" est installé dans une ferme à l'arrière gauche de notre position. C'est approximativement le centre du dispositif. Devant cette ferme et dans le prolongement de notre champ se trouve un verger à l'abandon couvert d'herbes hautes. Des trous individuels ont été creusés tout autour, devant ce verger et devant la ferme. Si l'endroit semble avoir été judicieusement choisi pour y installer un bouchon, en point d'appui cerclé, par contre on peut dire qu'il y a eu un manque manifeste de préparatifs de défense. Pour dégager des champs de tir, nous aurions augmenté considérablement notre efficacité. Cette remarque est certainement valable pour l'ensemble de notre dispositif de défense. Il est vrai que le laps de temps écoulé entre le bouclage du VERCORS et le début des combats a été très court. Les Allemands sont des experts en stratégie, ils ne nous ont pas laissé le temps matériel pour nous organiser davantage.

De notre emplacement nous ne pouvons guère nous rendre compte de la façon dont est organisée la défense générale; nous savons seulement que, plus loin sur notre gauche se trouvent les Chasseurs Alpins de "CHABAL" et que derrière les arbres, après le vallon, sur notre droite, il y a la route D106.

Comme toujours, les Fridolins s'appuient sur une route pour leur permettre d'acheminer, le plus prés possible du front, les renforts, l'artillerie ou les blindés, les munitions, le ravitaillement et faciliter l'évacuation des blessés.

La nuit s'est écoulée sans incidents notables. Au petit jour, "PAYOT" confie à "CALVA" la responsabilité des combattants de l'aile droite du talus située à droite du F.M. de "SEPPI". Ce dernier a, dans son trou, "ATHOS" et "PORTHOS" comme pourvoyeurs. Au milieu de notre dispositif se trouvent "VASCO", "MITRON", "KIKI", "PEKIN" et "TRENTE-SIX", puis en retour de la ligne de front "CUPIDON", un ou deux autres et tout au bout, à côté d'une maison, le trou du F.M. avec "PHEBUS", "PARE-CHOCS" et "RIBOULDINGUE".

Prés de la ferme située derrière le verger abandonné, au milieu de notre dispositif de défense, se trouve "LA LOULE". A côté du verger, "BACCHUS", "GROGNARD" et d'autres.

Au matin, "CALVA" se dirige vers la ferme pour y chercher le petit déjeuner et en profite pour ramasser un sac de pommes-de-terre vide qui traînait, sac qu'il remplit à moitié de terre, car, autrement, il aurait été trop lourd à porter. Comme nos terrassiers ont creusé un trou de trop dans le talus, que le secteur est momentanément calme, il s'y installe provisoirement, constate que c'est plus une saignée dans le talus qu'un trou véritable que de cet emplacement, il ne voit pas ce qui peut se passer devant lui. Il s'assoupit pour une sieste réparatrice, dans le chemin creux.

Dans la nuit, une autre section commandée par l'Adjudant HERSH est venue en renfort. Des relève ont été faites. Cette nuit-là également, un important parachutage d'armes a eu lieu sur le plateau.

Vers 16 heures 30 - 17 heures, sans doute pour nous rappeler qu'ils pensent bien à nous, les Boches nous expédient d'un fort de GRENOBLE, des obus de 155 qui éclatent en shrapnells au-dessus de nos têtes, "CALVA" n'a que le temps de placer son sac de terre à demi rempli au-dessus de sa tête pour se protéger. Un éclat le traverse et vient mourir sur sa godasse, sans la traverser heureusement. Il l'a échappée belle et en sera quitte pour un bleu sur le dessus du pied. Ce tir est plus un piquetage qu'un bombardement en règle. Cependant, une quinzaine d'obus nous arrive en un temps record. "PAYOT" nous passe ses jumelles pour que nous puissions voir les Boches, torse nu, enfiler les obus qui pètent maintenant sur les positions voisines. Est-ce pour nous intimider ou est-ce un tir de réglage ?? Vers 19 heures 30, le tir cesse. Pour rigoler, un gars s'exclame:

"Tiens, les Boches ont sonné la soupe, il n'y a pas de feignants !!"

Au soir de ce 14 Juin, après la soupe, "PAYOT" fait appeler "CALVA" pour donner un coup de main. En effet, il vient de recevoir un assez important lot de grenades Anglaises MILLS. Elles proviennent d'un parachutage qui a eu lieu la veille. Naturellement elles ne sont pas amorcées et il y en a plusieurs centaines. Il faut donc les rendre opérationnelles. Comme nous n'avons que deux clefs pour dévisser et revisser le cul des grenades, nous faisons la chaîne. L'un débloque le cul, un autre le dévisse à la main et la passe à "GRANGE" qui introduit le détonateur qu'il a prélevé de l'alvéole d'une boite en bois. Un quatrième revisse à la main et le dernier rebloque le cul de la grenade avec la clef. Ainsi, en un rien de temps, il y en a un bon tas de prêtes. "CALVA" propose alors de commencer à les distribuer dans son secteur. Avec l'accord de "PAYOT", il s'y met aussitôt. Quand il a terminé sa distribution, il constate qu'il y en a en trop qui restent en tas devant la ferme. Cette, concentration d'engins meurtriers, à cet endroit, est très dangereuse; aussi, il les enlève du milieu pour les placer dans un fossé prés du chemin creux montant. Ainsi placées, elles seront moins redoutables si, par hasard, elles venaient à être touchées par un projectile et qu'elles explosent toutes à la fois.

Après ce travail, la nuit est complètement tombée. Enroulé dans sa couverture, il somnole doucement lorsque "VASCO" vient le secouer pour le réveiller, et lui dit :

""TRENTE-SIX" te demande !"

Immédiatement sur le qui-vive, il arrive prestement auprès de "TRENTE-SIX".

"Qu'est-ce qu'il y a ?"

"J'entends des bruits anormaux dans le vent. Je ne suis pas tranquille !!"

Effectivement, une petite brise s'est levée avec la nuit et les hautes herbes murmurent. Mais dans ce fond sonore, on distingue bien autre chose.

"On dirait des types qui rampent !" précise "TRENTE-SIX".

"Non ! ils ne rampent pas, mais se déplacent à quatre pattes, c'est plus rapide et moins fatigant. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des Boches qui essayent de s'infiltrer. Prépare-moi des grenades ! !" répond "CALVA".

"Combien ?"

"Quatre !"

"TRENTE-SIX" passe une à une les quatre grenades que "CALVA" expédie dans la nature d'une façon très dispersée, en criant :

"La tête dans les trous, grenades !!"

Que c'est agréable d'entendre en pleine nuit, exploser nos grenades sur des Boches surpris, qui ne peuvent pas les éviter !

Nous entendons très nettement un type qui geint. "PEKIN" goguenard :

"Tu vois "CALVA", il y en a qui n'apprécient pas du tout tes "délikatessen""

C'est étonnant ce que la nuit peut amplifier le bruit que ces grenades peuvent faire. Dans l'obscurité, on dirait de petits obus. "FIL-à- PLOMB" s'écrie :

"J'ai reçu un objet métallique sur la tête !"

"TRENTE-SIX" lui répond :

"Couillon, c'est une cuillère !"

Intrigué plutôt qu'inquiet, "PAYOT" arrive plié en deux :

"Qu'est-ce qui se passe ??"

"Des touristes nous rendent visite, mon Lieutenant !" répond "CALVA".

"Pensez-vous, il n'y a personne !!"

A cet instant précis, on entend râler un type, et "PEKIN" remarque :

"On dirait que ce n'est pas le même que tout à l'heure, lui, il a une voix de fausset"

Mais où va-t-il chercher tout cela ??

"PAYOT" s'avance sur le talus, comme s'il avait l'intention d'y aller voir de plus prés. "CALVA" essaie de le retenir :

"Etes-vous venu ici pour vous faire tuer ? Ne vous cassez pas la tête, on ne va pas les revoir de si tôt, ils vont essayés de s'infiltrer ailleurs. De toute façon, s'ils veulent revenir, nous avons ce qu'il faut pour leur répondre !!"

"PAYOT" se retire, convaincu que ses gars sont réalistes et déterminés. Il repart sans rien dire. Ce qui est absolument certain, c'est que nous avons réussi si à réveiller tous ceux qui ronflaient dans le secteur.

"CALVA" retourne s'allonger dans le chemin creux et essaie de trouver le sommeil malgré l'excitation du moment. Il est tranquille, "TRENTE-SIX" et "PEKIN' ne fermeront pas l'œil de la nuit.

Les Boches, eux, préparent leur attaque du lendemain amenant à LA-TOUR-SANS-VENIN, de l'artillerie de campagne, des munitions de réserve et des troupes. De notre côté, des renforts sont acheminés aux CHARVETS. Il s'agit de Maquisards du C3 et C5.

15 Juin 1944 - Le C12 engagé à SAINT-NIZIER

Dés l'aube, tous les Français sont réveillés. Chacun sait que ce sera le grand jour, sans qu'on le demande, ils sont à leurs postes, aux aguets.

"CALVA" va voir "TRENTE-SIX" et "PEKIN". Devant leur position l'herbe est complètement piétinée, aplatie sur une grande surface. De plus on distingue très nettement dans les hautes herbes, des traînées que des hommes ont laissé à la suite de leur passage, vers le vallon parallèle à la route. Durant la nuit, les Boches ont enlevé leurs morts et leurs blessés. Sachant l'alerte déclenchée, afin d'éviter à nouveau une "dégelée" massive de nos grenades, ils ont dû prendre d'énormes précautions. Vraiment ce sont des as car "TRENTE-SIX" et "PEKIN" n'ont rien entendu. Il leur suggère d'enlever le coton de leur oreilles, car cela n'est pas recommandé lorsqu'on va à la chasse aux "DAHUS".

Sur le perron d'une maison se trouvant juste derrière nous, des Maquisards s'affairent pour installer une mitrailleuse. 36 fait remarquer à "PEKIN" que s'ils ne se camouflent pas mieux, il y a de fortes chances pour qu'ils n'y restent pas longtemps, ce qui serait particulièrement regrettable, car ils pourraient nous donner un très sérieux coup de main.

Le jour perce lentement; maintenant nous commençons à distinguer les formes à portées de tir. "PHEBUS" est en train de boire un coup, lorsqu'il tend la bouteille à "PARE-CHOCS en lui disant:

"Attends ! j'ai des clients !"

Il met son F.M. au coup par coup et tire par deux fois sur des guetteurs ennemis qui scrutent le terrain à la jumelle. Les deux Fritz s'écroulent et resteront là jusqu'à notre départ.

Dans notre coin ça commence à barder. Les Boches se faufilent derrière le arbres, dans les fossés devant nous. "CALVA" est obligé de sauter le talus, ce qui n'est guère pratique, pour aller faire tirer les jeunes recrues sur les pieds des arbres derrière lesquels les Allemands se planquent.

"SEPPI" a repéré des "touristes" qui rampent dans les hautes herbes. Il est déchaîné et ferraille avec son F.M. Si les Allemands comptaient nous surprendre, ils doivent être déçus; ça tire de partout. Dans le trou de "SEPPI", "ATHOS" et "PORTHOS" ont fort à faire pour suivre le rythme et remplir les boites chargeurs que "SEPPI" débite à tout allure sans regarder à la dépense.

Ayant regagner son trou prés de la position du F.M., "CALVA" lui demande s'il veut un coup de main pour remplir ses chargeurs. Il répond:

"Non ! ça va ! mais passe-moi plutôt le canon de rechange du F.M."

Il a tellement tiré que ce dernier est chauffé à blanc !

Devant cette résistance acharnée, les Fridolins n'ont d'autres moyens que d'utiliser les mortiers. C'est ainsi qu'ils comment à nous canarder. Eux aussi n'y vont pas à l'économie. En se retournant, "CALVA" constate que la mitrailleuse imprudemment installée sur le perron de la maison, a disparu dans un nuage de poussière. On ne l'entendra pas tirer. Quel dommage !!

Brusquement, une explosion formidable l'assourdit. Il est couvert de terre et de gravillons. Reprenant ses esprits, il constate qu'un obus de mortier vient de péter juste au-dessus de son trou au moment où il était penché pour éjecter une douille vide. Il revient de loin, mais n'arrive plus à refermer la culasse de son fusil. Elle est bloquée par des graviers. C'est bien le moment ! Il s'énerve, ce qui n'arrange rien. Il sort son colt, mais à cette distance, il sera inefficace, les Boches sont trop loin. Mais sait-on jamais ?? Avec patience, à l'aide de son mouchoir, il nettoie la culasse de son fusil lorsqu'une très forte explosion le fait sursauter. C'est un gammon qui vient d'exploser sur le toit de la grange.

"BACCHUS" vient d'être blessé. Il n'est pas gravement atteint mais il a une raie sanguinolente sur le dessus de la tête dans sa chevelure en brosse. Il peste et se retourne juste pour voir des tuiles du toit de la grange qui se baissent. Il hurle:

"Il y a des Boches dans le grenier !!"

Ce sont eux qui lui ont envoyé une balle de mitraillette.

Sans hésiter une seconde, "LE FAUVE" (Paul ADAM) du C11, qui se trouve être le plus prés, expédie un gammon sur le toit de la grange. Résultat double. Plus de toit, plus de Boches; ceux-là n'ont pas eu le temps de se rendre compte de ce qui leur arrivait. Mais, ne s'y attendant pas, ayant le nez en l'air, "LA LOULE" du C12, groggy, est allongé pour le compte. Il lui faudra une bonne heure pour récupérer. Comment les Allemands ont-ils bien pu pénétrer dans la grange? Sans doute durant la nuit, à peu prés à la même heure où "CALVA" accueillait les "touristes". Ils ont dû passer à côté de la pièce où nous avions amorcé nos grenades et où "PAYOT" et "GRANGE" avaient établi leur P.C., ce qui prouve encore, si cela était nécessaire, que ce n'est pas une Biffe Allemande ordinaire qui nous attaque, mais des types sûrement très entraînés.

Les obus de mortiers Allemands nous arrivent par rafales. Atteint d'un tir direct par un obus de mortier dans son trou, "GROGNARD" est tué sur le coup. De trou en trou, la nouvelle se propage vite. "LE FAUVE" du C11 et "TATAVE" sont blessés; ce dernier au bras.

Partis derrière nous, soudain, des obus sifflent à nos oreilles, en tir tendu. Ils vont toucher des véhicules Boches stationnés, nous le supposons à LA-TOUR-SANS-VENIN, ou sur la route, car là où nous sommes, nous sommes incapables de voir les arrivées, mais nous entendons les explosions. C'est notre second canon de 25 qui fait des cartons. Le bruit court que le tireur est un as, un spécialiste de la guerre de 1939. Malheureusement, le festival est de courte durée car les obus sont rares et les Allemands ne tardent pas à le prendre à partie. Si seulement nous en avions quelques uns pour lui tenir compagnie; nous sommes persuadés que les Boches se calmeraient un peu.

"SEPPI" gueule:

"Les vaches ! ils sont dans les arbres !"

En effet, des "SNIPERS" y sont grimpés et font des cartons comme à la foire. Pour péter, ça pète ! "SEPPI" se déchaîne à nouveau et les Allemands tireurs d'élite redescendent plus vite qu'ils ne sont montés. On commence à voir plus clair dans les arbres. Les balles ont haché les feuilles et on se croirait en automne sans les couleurs. Il y a des heures que nous tenons les Boches en respect. Ils n'ont pas avancé d'un seul mètre. Dans le coin de "PHEBUS" c'est le calme complet; pour lui, pas d'objectif en vue, donc pas la peine de gaspiller des munitions, ni de se faire repérer. Il faut dire que son champ de tir est particulièrement bien dégagé et que les Allemands, depuis qu'ils se sont fait descendre deux types, ne se hasardent pas à montrer le bout de leur nez. Ils ont pourtant réussi à installer une mitrailleuse qui se découvrira au dernier moment, lors du repli.

Durant la nuit, aidés en cela par des Miliciens qui étaient sur place depuis plusieurs jours, les Boches, qui ont réussi à s'infiltrer le long de la route, dans le vallon hors de portée des armes de notre position, ont gagné du terrain encore une fois dans le secteur au pied des TROIS-PUCELLES. Les chasseurs de CHABAL, les Maquisards du C11 et du C12 risquent d'être pris à revers. Lorsque "HERVIEUX" s'aperçoit que nous sommes dépassés d'environ 600 mètres, il donne l'ordre général de repli. "PAYOT" nous transmet cet ordre et crie :

"PHEBUS" devant, "SEPPI" derrière !"

Les gars décrochent rapidement vers le chemin creux qui monte vers SAINT-NIZIER.

Là-bas, en haut, on entend des rafales d'armes automatiques. Cela ne présage rien de bon. "CALVA" se précipite derrière "SEPPI" et le rejoint au début du chemin creux. "ATHOS" et "PORTHOS" sont devant lui . C'est à ce moment que nous entendons crier derrière nous. Attardé, "VASCO" vient d'être sérieusement touché. Voyant le repli général, la mitrailleuse ennemie embusquée sur le bord du vallon, face à l'ancienne position de "PHEBUS", s'est démasquée. Elle a pris notre ancien chemin creux en enfilade, et blesse "VASCO" dans le dos. Retournant en arrière, "CALVA" dans la descente le chercher, en tentant de l'encourager de la voix. "VASCO" est affalé, les bras en avant afin de se soulager, essayant difficilement de rester debout en s'appuyant sur le talus. "CALVA" l'attrape à bras le corps et essaye de le traîner comme il peut. II n'est vraiment pas léger, le bougre avec ses quatre-vingt kilos, son sac et son fusil. A l'époque, "CALVA" fait lui-même une soixantaine de kilos, en plus son sac sur le dos, son fusil, il lui est impossible de le ramener assez rapidement et ils se font allumer à nouveau par la mitrailleuse dont une longue rafale arrache le sac et déchiquette la crosse de fusil de "VASCO".

"CALVA" se met à gueuler: ""SEPPI" ! !"

Celui-ci, très calmement se démasque et riposte avec précision.

Quel feu d'artifice ! Les talus flambent sous les rafales de balles. On n'y voit plus rien à cause de la poussière soulevée par les impacts. "CALVA" trouve un abri tout à fait relatif et provisoire derrière le talus. Il y installe "VASCO" du mieux qu'il le peut. Nous le soulageons de son sac qui est en miettes, de son fusil inutilisable et de ses cartouchières. Sa blessure semble grave. Il a un poumon transpercé. Une balle l'a traversé de part en part. Le sang perle entre ses lèvres prouvant qu'il a une hémorragie interne. Il faut l'évacuer de toute urgence !

"SEPPI" me signale que devant nous, il y a un point fixe où le talus s'abaisse dangereusement. C'est un passage très exposé, balayé par le mitrailleur ennemi. Celui-ci a vu les Français se replier et il lance, à l'aveuglette, de longues rafales de balles dans l'espoir de surprendre un attardé. Pour passer cet endroit redoutable, il faut ramper à plat ventre. Pour faire passer "VASCO", ce n'est pas une mince affaire. Nous lui faisons passer sur le dos cet obstacle difficile, tiré par les bras par "ATHOS" et "PORTHOS" et poussé par les pieds par "SEPPI" et "CALVA". De l'autre côté de ce passage, nous le faisons asseoir sur un siège rudimentaire formé de deux fusils que "ATHOS" et "PORTHOS" tiennent fermement à deux mains. "VASCO" entre eux, a une main passée sur leur épaule. Ainsi, péniblement, ils grimpent la pente."VASCO" souffre le martyr. Le passage sur le dos n'a rien arrangé. "SEPPI" et "CALVA" protègent le repli.

Devant nous, vers SAINT-NIZIER, le bruit de la bataille s'amplifie, la bagarre est générale. Le C11 et le C12 sont au corps à corps avec les Boches et des types tombent des deux côtés. "FIL-à-PLOMB" est tué entre les rails du chemin de fer. Lorsqu'ils arrivent bons derniers "SEPPI" et "CALVA" aperçoivent un grand gaillard, le colt à la main, très calme, qui leur fait reprendre position pour protéger d'éventuels retardataires : C'est "HERVIEUX" qui leur ordonne enfin de repartir lorsqu'il constate après une dizaine de minutes qu'il ne viendra plus personne et profite de leur compagnie pour s'en aller avec eux.

Pendant ce temps, "VASCO" a été évacué vers l'hôpital de SAINT-MARTIN-EN-VERCORS où, hélas, il décédera.

Enfin nous rejoignons "PAYOT" et "GRANGE" ainsi que les autres camarades qui nous attendent et se demandent bien ce que nous avons bien pu fabriquer. Nous repartons à pied vers CORRENÇON, le coeur gros, non seulement d'avoir perdu des copains, mais aussi pour avoir été obligés de nous replier alors que nous étions persuadés d'avoir arrêté les Boches. Nous sommes convaincus que ceux-ci ont eu de grosses pertes. Aujourd'hui encore, nous nous demandons bien où certains écrivains ont pu prendre leurs sources; car hélas, si nos pertes sont bien connues, celles des Allemands sont bien plus importantes que celles qu'ils ont indiquées dans leurs écrits. On voit bien qu'ils n'étaient pas sur place pour en juger.

Le bilan est lourd pour le C12. Sur 25 hommes, nous avons trois tués et trois blessés. Au C11, heureusement, on ne déplore que des blessés. L'affaire a été chaude.

En file indienne, nous marchons sans aucune précipitation. Nous côtoyons les compagnies "DURIEUX" et "GODERVILLE", entre autres, qui se replient en bon ordre. Il est sûr qu'à forces égales, les Boches n'auraient pas eu le dessus aussi facilement.

Nous prenons position à CORRENCON et sommes bientôt relevés pour rentrer en car à VASSIEUX, où, surprise.....nous couchons dans des lits.

17 Juin 1944

"HARDY" nous fait préparer des armes qui doivent équiper plusieurs pelotons du DIOIS. On ne nous a pas dit pour qui mais le bruit circule que ce serait pour les pelotons de FIALOUX à ROMEYER et Jean VEYER à CHAMALOC .

A VASSIEUX, nous apprenons que les Allemands, après la journée du 13 juin, avaient renforcé considérablement le nombre de leurs combattants à SAINT-NIZIER et qu'ils avaient aligné quelques 1200 hommes lors des combats du 15 juin, soit au moins trois fois le nombre des Français. Comme à leur habitude, ils ont massacré des innocents, achevé les blessés tombés entre leurs mains, incendié de nombreuses maisons et même brûlé nos camarades morts, déjà mis en bière.

A la suite de la bonne tenue du C12 lors des combats de SAINT-NIZIER, les participants à ceux-ci se voient nommés soldats de 1ère Classe. Par la suite, cela ne va pas sans difficultés pour l'exécution des corvées en général et des "pluches" en particulier.

Une nuit, on nous largue sur VASSIEUX un stick d'une quinzaine de parachutistes CANADIENS. Les mots de passe sont :

Pour eux : "Je suis le cheval de Troie !"
Auquel nous devons répondre: "La fin est-elle proche ?"

L'un d'eux s'est mal reçu. Il est sonné et s'est emmêlé dans son harnachement. Il crie: "Oh là, là, je suis tombé sur mon cul !". Nous lui prêtons un coup de main pour se dépêtrer de ses sangles. Un autre fait la demande et la réponse du mot de passe. Nous rigolons, les aidons à rouler leurs parachutes et les épaulons pour récupérer leur matériel. Nous chargeons hommes et matériels sur un camion pour les emmener au village où ils boivent un bon coup pour fêter leur arrivée sur le sol Français. Ils s'en iront la nuit même et nous n'en entendrons plus jamais parler. Ils ne sont pas restés au VERCORS. Où sont-ils allés ??

"PAYOT" a décidé que "CALVA" devra remplacer "LA MAURICAUDE" dans sa fonction d'infirmier, comme il n'a qu'une instruction médicale très rudimentaire. Il l'envoie donc à l'hôpital de SAINT-MARTIN-EN-VERCORS pour y suivre un stage d'infirmier combattant. Les cours ont lieu principalement aux CHABOTTES où se trouve installé en plein air, un gros dépôt de munitions.

Des médecins de l'hôpital nous apprennent ce qu'est l'asepsie, l'antisepsie, comment faire des pansements, des garrots, des piqûres, à poser des attelles, charger sur des brancards des blessés atteints dans le dos, etc..etc.. Ces cours dureront trois jours et nous seront fort utiles pour le futur.

A son retour à VASSIEUX, "CALVA" est très surpris de constater que beaucoup de gars ont les bras bardés de galons de parachute. A SAINT-MARTIN-EN-VERCORS, il y a eu floraison d'Aspirants; on en rencontre partout de ces types de la onzième heure. "PAYOT" déclare sur un ton ironique :

"Vu le nombre de types qui ont été promus et leur valeur, vous pouvez, vous du C12, être tous Capitaines !"

Aussitôt dit, aussitôt fait; car ce n'est pas tombé dans l'oreille de sourds. Pour rigoler, beaucoup se sont bardés de galons de parachutistes. "MIMILE", lui qui était dans la marine, s'est collé sur son blouson de cuir, deux magnifiques étoiles qu'il a déniché Dieu sait où ? Ces subites promotions n'ont pas l'heur de plaire à "HARDY", au contraire de "PAYOT" qui en rigole. En peu de temps, tout rentre dans l'ordre et on retrouve des gars qui veulent bien assurer leur tour de garde.

Quant à "CALVA", il a fort à faire pour soigner tous les gars qui ont attrapé une espèce de gale qui occasionne une multitude de croûtes sur tout le corps. En huit jours, il parvient à enrayer l'épidémie, ils sont presque tous guéris.

A la suite d'un parachutage, nous touchons des colts 11,43 et nous ne manquons pas de shérifs à VASSIEUX !

23 Juin 1944 - Sauvetage des Tirailleurs Sénégalais

Important parachutage de nuit avec vingt-quatre appareils Alliés. C'est devenu une routine.

Vers le 15 juin, l'Etat-major Français du VERCORS apprend que des tirailleurs Sénégalais sont détenus dans des baraques du fort de LA DOUA à VILLEURBANNE dans la banlieue de LYON, et décide de les récupérer. La mission est confiée au Commandant "GEORGES" (JOUNEAU) qui est habituellement chargé du transport dans le VERCORS.

Le Lieutenant "ANTOINE" est chargé des contacts préliminaires. Grâce à Louis ARGENSON et René BERNARD, il peut entrer en rapport avec le Sergent-chef VILLECHEZE qui commande ces derniers et parvient à le rallier à notre cause. La date de l'opération est fixée au 23 Juin 1944 à 5 HEURES 15.

Du côté VERCORS, toutes les dispositions sont prises en temps voulu: Trois camions bâchés, conduits par des hommes connaissant bien les lieux et l'itinéraire sont envoyés la veille et le matin même. Malheureusement, l'un d'eux tombe en panne aux BARRAQUES-EN-VERCORS. Deux détachements motorisés devant encadrer les véhicules au retour, partent du VERCORS et vont rejoindre leurs emplacements prévus. Une liaison moto a même était organisée.

A LA DOUA, les Tirailleurs qui ne connaissent pas le projet, sont mis au courant au dernier moment par le Chef VILLECHEZE qui, voulant se faire bien comprendre, leur fait traduire ses propos dans leurs langues respectives.

Ils liquident les deux sentinelles Allemandes.

Cinquante-trois Tirailleurs, le Sergent-chef accompagné de sa femme et de son fils qui se sont joints à eux pour éviter des représailles inéluctables, répartis dans les deux camions restants, réussissent à rejoindre au complet LA-CHAPELLE-EN-VERCORS, avant que les Boches aient eu le temps de réagir. Malgré pas mal de péripéties, encadrés par leur escorte, ils sont là, accueillis avec enthousiasme par leurs camarades Maquisards.

24 Juin 1944

Les Allemands, avec un effectif d'environ 300 hommes, tentent de s'infiltrer dans les gorges DES ECOUGES. Ils sont stoppés net au pont CHABERT par une poignée de gars commandés par Clément BEAUDOING.

Ils ne pourront pas progresser et devront se retirer avec leurs blessés et leurs tués. Il faut dire qu'ils avaient bien mal choisi leur axe de pénétration.

25 Juin 1944

Ce sont trente-six forteresses volantes qui effectuent un parachutage de matériel en plein jour. C'est maintenant les équipes commandées par "OCTAVE" (OLCHANSKI) qui se chargent de réceptionner les parachutages, de les enlever et d'en faire la répartition par camion. Ainsi les containers ne traînent pas longtemps sur le terrain.

Ce même jour il y a une prise d'armes à SAINT-MARTIN-EN-VERCORS avec remise de décorations devant le Colonel "JOSEPH", futur Général ZELLER, de "HERVIEUX" et de "THIVOLLET". Des croix de guerre sont remises aux combattants de SAINT-NIZIER qui se sont particulièrement distingués. Au C12, "PAYOT", "GROGNARD", "FIL-à-PLOMB", "VASCO", "BACCHUS", "CALVA", "LA LOULE" et "TATAVE" sont cités.

"GASTON" (L'Abbé MAGNET) bénit le fanion des Chasseurs du 6ème BCA, puis "HERVIEUX" fait une courte allocution. Après quoi, Chasseurs et Maquisards de "THIVOLLET" suivis par les Tirailleurs Sénégalais en uniformes et chéchias rutilantes sur la tête, défilent devant le monument aux morts puis devant la population.

A notre retour à VASSIEUX, "LA LOULE" et "TRENTE-SIX" sont nommés agents de liaison; "MIMILE" et "FILOCHARD" motocyclistes; "PINTCH" et "ROBY" à l'Entretien-Auto.

Le premier terrain d'atterrissage pour les avions Alliés est préparé prés de VASSIEUX. Les cultivateurs fauchent et fanent. Les trous sont tous bouchés avec de la terre et damés. Laissant l'équipe de terrassement continuer les travaux d'aménagement, nous montons prendre notre tour de garde, par demi-peloton, l'un au PAS-DE-L'ANE et l'autre au PAS-DE-LA-SAMBUE. Pluie, grêle et brouillard enveloppent le paysage. Il fait froid.

De retour à Vassieux, "FEND-la-BISE" touche une mitrailleuse légère Américaine. Nous l'aidons à s'installer en bout de la piste d'atterrissage (entre la route de FONT PAYANNE et celle menant aux SAUTES). Il essaie de fabriquer un disque de visée pour l'adapter dessus pour le tir anti-aérien.

La nuit, nous couchons dans une grange et le jour, entre deux corvées habituelles, nous nous faisons bronzer. Mais ce répit ne dure pas longtemps. Nous repartons pour HERBOUILLY et logeons à la ferme. Le temps se gâte à nouveau. Comme nous n'avons toujours pas d'imperméables lors des tours de garde, nous sommes trempés jusqu'aux os par une pluie diluvienne où se mélange de la grêle. Nous sommes gelés et la garde est devenue un véritable martyre.

A notre retour de garde, nous constatons que les "gars du génie" créent des obstacles sur les voies d'accès en coupant des arbres. Ils percent des trous dans ceux qui ne sont pas abattus pour y placer des charges explosives. Ils posent des mines. En arrivant au camp, nous apprenons que les Allemands ont attaqué, au sud à BEAUFORT-SUR-GERVANNE. Ils auraient eu beaucoup de pertes dans cette opération, dont un avion, plus un char détruit à l'aide d'un gammon; on avance même le chiffre d'une dizaine de tués dans leurs rangs.

29 Juin 1944

Au début de la nuit est parachuté à VASSIEUX un commando Américain commandé par le Capitaine TUPPERS et le Lieutenant Chester MEYERS. Il comprend 13 hommes et restera dans le VERCORS pour nous instruire sur l'emploi des Bazookas Américains. Le Lieutenant MEYERS aura beaucoup de chance. Opéré de l'appendicite le 16 Juillet 1944 à SAINT-MARTIN-EN-VERCORS, il sera évacué à la grotte de LA LUIRE où il sera l'un des seuls épargnés par les S.S. parce qu'il portait un uniforme Américain.

Un autre groupe comprenant des officiers Français, Anglais et Américains, soit quatre hommes, été parachuté en même temps. C'est la deuxième partie des hommes de la mission EUCALYPTUS. Une des conséquences agréables de ce parachutage, c'est que nous couchons dans des parachutes de rayonne aussi doux que des draps. Vraiment, nous nageons dans le luxe. Pourvu que cela dure !

Nous entendons parler de bombardements Allemands sur le ROYAN. Ce serait des représailles exercées sur la population après les nombreux passages de renforts montant au VERCORS. Comment les Allemands peuvent-ils être au courant sinon à la suite de dénonciations faites par des Collabos Vichyssois. Nous apprenons qu'à SAINT-NAZAIRE et PONT-EN-ROYANS, il y aurait une douzaine de victimes civiles et de très gros dégâts. Quand donc les Alliés se décideront-ils à bombarder les aérodromes Boches de CHABEUIL, Lyon et les autres de la région ??

Après la région du ROYAN, les avions Boches s'en prennent à la région de CREST où ils savent que la Résistance est omniprésente, et là encore, les pertes civiles sont lourdes. Il y a une vingtaine de morts.

A GRESSE-EN-VERCORS aussi, les gars de la Résistance s'accrochent avec les Allemands. Cela prouve que, partout et sans relâche, la Résistance harcèle l'ennemi.

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Suite...

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